Christophe Boltanski

Refusant tout ce qui marquait le passage des années, ma grand-mère avait fini par étendre cet interdit à toute forme de commémoration. Elle détestait les festivités imposées à date fixe. Les réjouissances obligatoires, la liesse populaire sur commande, les baisers donnés au coup de sifflet. En vieillissant, son dégoût des joies collectives s'étendit même au jour de Noël qu'elle célébrait autrefois, à une époque que je n'ai pas connue, avec faste et générosité. A l'approche du réveillon, elle se bouchait les yeux et les oreilles. Elle attendait que ça passe. Elle boudait la télévision dégoulinante de guirlandes, de confettis et de bonheur factice. Elle évitait de passer devant les vitrines clinquantes des grands magasins, pestait contre l'apparition, un peu plus tôt chaque année, de flocons lumineux et de sapins blancs dans les rues, et, au moment où la France ripaillait, se barricadait chez elle ou partait se réfugier au cinéma, dans des salles obscures et vides.