Citations de Christophe Lunetto (14)
Il tourna l’automate dans ses mains et le scruta sous tous les angles.
— ... Ses mécanismes sont si fins et si délicats que cela ne m’étonnerait guère, à vrai dire. J’ignore si vous croyez aux fées et autres lutins, jeune homme, mais moi, il se trouve que j’y crois...
Il entreprit de remonter doucement la minuscule clé logée dans le dos de l’ourson.
— ... Mais admirez plutôt le merveilleux tour qu’il sait faire. De la pure magie !
Il posa la figurine sur le siège, à côté de lui. On entendit une sarabande de cliquetis métalliques dus aux rouages internes qui se mettaient en action et l’ourson s’anima. Il se leva sur ses deux pattes arrière, prit son élan et exécuta une série impeccable de roulés-boulés. Il termina sur son postérieur, salua son public d’un élégant mouvement de tête, puis s’immobilisa dans l’attente d’un nouveau tour de clé.
Ce spectacle improvisé arracha au bébé des éclats de rire qui ravirent Barrie.
Tandis que le train ralentissait dans un grincement de freins, il ramassa l’ourson pour le remettre dans sa poche, mais il se ravisa presque aussitôt et glissa le jouet entre les doigts potelés de l’enfant qui poussa un cri de surprise.
Barrie se pencha en avant :
— Jeune homme, puis-je avoir un peu de votre attention, je vous prie ? demanda-t-il avec une pointe d’espièglerie dans la voix.
L’enfant laissa échapper un léger gazouillis en agitant ses bras et ses jambes, ce que Barrie ne manqua pas d’interpréter comme une réponse affirmative.
— Je vous remercie infiniment, dit-il en fouillant dans la poche de sa veste.
Il en sortit un jouet mécanique, un ourson tout hérissé de poils, si petit qu’il tenait tout entier dans sa paume.
À la vue de l’objet, le bébé remua bras et jambes plus vigoureusement encore.
— Voilà une réaction digne d’un expert sachant reconnaître à coup sûr un jouet d’exception, reprit Barrie avec un sérieux imperturbable. Et il l’est, à n’en point douter. J’en ai fait l’acquisition il y a quelques jours, à Zürich. Le marchand qui me l’a vendu m’a certifié qu’il avait été créé par des fées. Oui, vous m’avez bien entendu, des fées...
Ce singulier gentleman, assis sur le siège opposé, était James Matthew Barrie. Né en Ecosse vingt-six ans plus tôt, il était petit, pas plus d’un mètre soixante, et presque trop maigre. Il avait un visage aux traits creusés, fatigués, mais un regard doux, tranquille et bienveillant. Bien que tout dans son apparence donnât l’impression d’une extrême fragilité, il était en réalité en assez bonne forme. Ces huit semaines passées en Suisse dans un sanatorium pour y soigner une mauvaise bronchite avaient fait des miracles. Il se sentait à présent parfaitement rétabli et prévoyait même de reprendre son travail de journaliste après les fêtes de fin d’année.
Le bébé allait bientôt fêter son deuxième anniversaire. En attendant, il était confortablement installé sur les genoux de sa mère profondément assoupie et ne lâchait pas des yeux l'homme vêtu d'une longue redingote qui se trouvait avec eux dans le compartiment de seconde classe.
En voyant défiler les vastes plaines sauvages et les collines verdoyantes dans l'air doré du matin, les hautes montagnes au loin et les gracieux lacs aux reflets couleur argent, ils surent sans l'ombre d'un doute qu'ils étaient de retour dans le pays où ils étaient nés. Ils avaient l'Écosse dans le sang.
Quoi qu il en soit, toujours est il que, dès qu il fut mis au courant, sir Henry fit tout ce qui était en son pouvoir pour imposer le secret absolu autour du cas Emma Combs, pour éviter, je le cite, «un inutile vent de panique parmi la population à l approche des fêtes de Noël». Pour commencer, car il faut bien commencer par quelque chose, il tua dans l oeuf toute idée d enquête officielle (à la grande consternation d Abberline) en nous annonçant, sur un ton qui ne souffrait aucune contestation, que les causes du décès étaient dues à... une noyade accidentelle!
Au même moment, Jonas Faganz et Omahyra prenaient le thé dans le petit salon de la maison biscornue. Un thé qu'ils avaient agrémenté de quelques gouttes de sang pour en relever le goût. Faganz aimait faire craquer entre ses incisives les croûtes d'hémoglobine qui avaient coagulé au contact de l'eau chaude. C'était pour lui une véritable friandise et il s'en délectait après chaque gorgée.
Pour Barrie, les choses ne pouvaient être plus claires. Il allait devoir subir la vision d'une seconde autopsie moins de quarante-huit heures après avoir enduré la première. Il aurait voulu implorer grâce, mais savait que c'était parfaitement inutile. Résigné, il regarda les flocons qui tombaient, évanescents, et laissa échapper un long, un plaintif et douloureux soupir.
C’est Conan Doyle qui s’est chargé d’aller récupérer Emma Combs dans la serre avec l’aide des deux employés de la morgue appelés en renfort. Ils agirent promptement, avec le souci de ne pas attirer l’attention du voisinage. Dans sa précipitation, Arthur fut même obligé de prendre à pleines mains le tas d’intestins et de le jeter dans un vieux pot de fleurs pour pouvoir le transporter plus vite avec le reste du corps.
- Allons, cessez donc de vous tourmenter, fit Conan Doyle. Personne n en saura rien. Tout ce qui se passe entre ces murs reste entre ces murs.
Lorsque les premiers signes du désastre apparurent, il était déjà trop tard. En ignorant les dangers à venir, l’Humanité dans son ensemble avait laissé s’ouvrir la boîte de Pandore. Pour son plus grand malheur.
Votre pire ennemi est votre inconscience a vous croire invulnerable. Cela et le temps qui passe. Il file comme le vent les soirs d hiver. Il s ecoule comme de l eau entre les doigts de la main.
Puisque nous ne pouvons compter que sur nous-meme, nous avons forme une communaute, nous l appelons la Fraternite. - La Fraternite?
- Faganz est de retour, annonca Vambery d une voix sourde. Il est la, quelque part, pret a frapper. Toujours jeune, toujours vivant.