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Citation de ombrechinoise


Christophe Masson
Vous vivez peinard au bord d’un lagon polynésien, entouré de vahinés aux seins nus, avec la marmaille qui s’agite dans le soleil couchant sous un ciel immense drapé de rouge et d’or. Des poissons à la chair ferme, des fruits dégoulinant de jus, la nature a tout prévu pour vous rassasier. Vous ne le savez pas – les missionnaires n’ont pas encore débarqué sous ces tropiques -, ce paradis après lequel courent les hommes après leur mort, vous l’avez là, de votre vivant, sur terre. Quelques siècles plus tard, Paul Gauguin et Jacques Brel fuiront les brumes européennes pour venir y renaître. Vous possédez tout, et pourtant, éternel insatisfait, il vous manque quelque chose.
D’une curiosité inlassable ou pressés par le danger, vos lointains ancêtres avaient navigué d’ouest en est, passant d’île en île comme on traverse une rivière de galet en galet, des actuelles Philippines au chapelet des Salomon, Fidji, Tonga et Samoa, pour s’arrêter en Polynésie. La nature généreuse, les atolls regorgeant de poissons, ils s’y fixèrent – d’autant plus qu’il semblait ne plus y avoir de terres à découvrir là où le soleil se lève. S’offrant une pause de plusieurs siècles, nos valeureux navigateurs peuplèrent ces îles avec un sentiment de félicité et d’accomplissement.
« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » écrivait Blaise Pascal. À la longue, le bonheur se charge d’ennui. Alors un matin on pousse une pirogue sur les eaux turquoise, on y entasse une centaine d’inconscients et on s’élance sur l’océan, direction l’inconnu, un ailleurs qui fait rêver. Quelle folie de partir ainsi dériver sur le Pacifique en calant sa course sur celle des étoiles, en déduisant du vol des oiseaux, du mouvement des nuages et des nuances de la houle qu’il existe une terre à portée d’horizon. Et au fil des expéditions toucher enfin, à des milliers de kilomètres de chez soi, à ce que de futurs explorateurs nommeront Hawaï, l’île de Pâques et Aotearoa, « le pays du long nuage blanc ».
Selon la légende, le dieu-magicien Maui serait parti de Polynésie pêcher avec ses frères. Parvenu à ce qui est aujourd’hui le détroit de Cook séparant les deux îles formant la Nouvelle-Zélande, il prit un poisson gigantesque ayant la forme de l’île du Nord, à bord d’une pirogue qui deviendrait l’île du Sud. Maui pria ses frères de laisser le poisson tranquille mais ceux-ci ne savaient raisonner qu’à coups de hache. Meurtrie pour toujours, l’île-poisson se creusa de montagnes et de vallées et accumula dès lors les cataclysmes, les éruptions volcaniques et les tremblements de terre.
Les légendes s’évanouissent dès qu’un homme pose le pied pour de vrai sur une terre inexplorée. Si les historiens peinent à dater l’arrivée des premiers Polynésiens – entre le neuvième et le quatorzième siècle -, c’est bien en 1642 que le navigateur hollandais Abel Tasman fait trois petits tours dans les parages et puis s’en va. Il faudra attendre 1769 pour qu’à bord de l’Endeavour James Cook cartographie les côtes de cette Nouvelle Terre des Mers qui aurait pu devenir possession française si les marins du Mascarin n’avaient pas fini préparés en ragoût par des autochtones un brin susceptibles – nos moussaillons ayant violé sans le savoir un tapu, un tabou. Prélude à la sempiternelle rengaine de la colonisation, dopée par la chasse à la baleine, aux cachalots et aux phoques, les exportations de bois de kauri, la spoliation des meilleures terres maories, pendant que les natifs tombaient comme des mouches, décimés par les épidémies propagées par les Européens.

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