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Citation de Charybde2


À la sortie de l’aéroport international de Mertvecgorod je suis frappé par le spectacle des trafiquants : vendeurs de cigarettes de contrebande, dealers, rabatteurs d’hôtels, de taxis ou de bordels, putes, maquereaux et autres fournisseurs de chair fraîche, pickpockets, harceleurs divers et embrouilleurs de toutes sortes se succèdent sur les voyageurs tels les escouades d’insectes nécrophages (ainsi que les appellent les médecins légistes) sur une dépouille encore fraîche.
Comme la plupart des nouveaux arrivants je remarque ensuite le ciel, l’odeur et les drones. Le premier n’existe pas, masqué de couches noires, grises et marron qui bouchent la lumière et roulent comme de la suite. La deuxième, mélange de produits chimiques et de graisses industrielles, donne l’impression d’évoluer avec une benne à ordures renversée sur la tête. Quant aux troisièmes, il s’agit d’énormes engins de guerre rôdant au-dessus des passants avec la lenteur effrayante de requins, suffisamment bas pour qu’on distingue sur leurs flancs les logos des compagnies de sécurité : tête de loup hurlant, faucon toutes serres dehors, lion cabré, ours à la gueule sanglante, etc.
Grimaçant, ralenti par mon énorme sac à dos et ma valise remplie ras-la-gueule, je slalome entre les hommes d’affaires blasés et les zonards et m’engouffre dans un taxi.
– Le Nefrit, s’il vous plaît. Prospekt 215, numéro 33.
Prospekt veut dire « rue » ou « avenue », en russe. L’hôtel m’a été suggéré par l’aide de camp de Nikolaï.
– Vous parlez russe ? Putain, c’est rare. Z’avez pas l’air d’un touriste.
– Je suis journaliste.
– Ah. Un fouille-merde. M’étonne pas.
– Vous n’aimez pas les journalistes ?
– Chaque fois qu’un scribouillard se pointe chez nous c’est pour remuer le fond des chiottes, à croire que vous adorez ça, vous autres. Quand c’est pas le trafic de déchets c’est les meurtres de femmes et quand c’est pas ça c’est autre chose. De vrais charognards. C’est quoi votre truc à vous ?
– Nikolaï le Svatoj. Vous suivez ses vidéos ?
– Ça m’arrive. C’est pour lui que vous venez. Alors ça c’est pas banal, au moins.
L’aéroport se situe à une vingtaine de kilomètres de la ville. Plus nous approchons, plus l’aspect du ciel et la puanteur de l’air empirent. L’anthracite et le brun se veinent de kaki, d’ocre et d’orangé. Ce qui s’étale au-dessus de nos têtes ressemble à un lac d’hydrocarbures irisé de reflets graisseux et remué en profondeur par d’inquiétants remous. L’odeur se charge de nitrate, de caoutchouc, de rouille, de soufre et d’autres trucs indéfinissables. Seul un œnologue de la crasse pourrait venir à bout de toutes ces nuances. Le chauffeur a remarqué la drôle de gueule que je tire. Il me sourit largement dans son rétroviseur sale.
– Bienvenue à Mertvecgorod !
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