Clarisse Sabard

La prohibition avait été votée dix ans plus tôt parce que les femmes en avaient marre que les salaires de leurs maris partent dans les saloons et l'industrie capitaliste avait compris qu'un ouvrier efficace était un homme sobre. C'est à partir de là que les gangsters avaient trouvé leur nouvelle vocation : fournir aux citoyens qui ne comptaient pas rester la gorge sèche la possibilité de s'enivrer malgré tout. Charlotte avait découvert avec stuéfaction que les plus modestes se rabattaient sur du gin frelaté ou du vin fabriqué dans des baignoires, alors que les bandes organisées faisaient transiter les breuvages interdits par le Canada, Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore les Caraïbes, afin de fournir la crème de la société. En contrepartie, les rivalités s'avéraient sanglantes. Outre le massacre de la Saint-Valentin, Rothstein, connu pour être le nabab des casinos, avait été assassiné l'année précédente. Et ce n'était qu'un exemple parmi tant d'autres. Sept mois plus tôt, les principaux criminels du pays s'étaient réunis durant plusieurs jours à Atlantic City afin de discuter de leur avenir commun au vu et au su de tous.