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Citations de Claude Kayat (21)


Un coup de peigne et Ali examina son visage dans le miroir ovale du hall, puis il souhaita aux siens une bonne soirée et sortit.
Hassen, estimant qu’il avait pué assez longtemps, pénétra dans la salle de bains. Il tenta, sous la douche, d’entamer le « Non, je ne regrette rien » d’Édith Piaf. Après avoir chassé quelques chats de sa gorge, il se rabattit sur une rengaine arabe qui avait bercé son enfance.
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— Il est prêt, le couscous ? s’enquit Hassen.

— Oui, mais…
— Y en aura assez pour tout le monde, tu crois ?
— Quand il y en a pour cinq, il y en a pour sept.
— Tu peux compter six, maman, fit remarquer Ali. Je suis invité chez Sylvie.
Fatima, qui se dirigeait déjà vers la cuisine, se retourna et jeta un regard soucieux à son fils.
— Ne rentre pas trop tard. Fais attention à toi ! Tu sais qu’il y a ce maboule qui…
— T’inquiète pas, maman !
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— Ce drapeau, je l’ai gardé spécialement pour ce grand jour, dit-il, un brin sentencieux.
Il le déroula, souffla dessus à trois reprises et, non sans solennité, le posa au beau milieu de la table ronde, dressée dans un coin du salon et juponnée d’une nappe blanche.
— Il faut fêter ça ! décréta-t-il. Et si on invitait nos voisins à dîner ?
Les yeux de Fatima s’élargirent.
— Monsieur et madame Dufresne ? On les connaît à peine ! Bonjour, bonsoir sur le palier, pas plus ! Ils vont accepter, tu crois ?
— Eh quoi ! répliqua Hassen. Les Français ne se fréquentent qu’entre eux. Et nous, on est français maintenant, non ?
L’argument eut raison des réserves de Fatima.
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Son identité tunisienne, avec tout ce qu’elle comportait de couleurs, de sons, de parfums, de mimétismes, le quitterait-elle à la manière d’une vieille peau ? Ce soir-là, tout au moins, il se sentait un autre homme.
Il marcha lentement vers une commode, en ouvrit les battants pour en extraire un minuscule drapeau tricolore, tout poussiéreux, enroulé sur sa hampe fine.
— Ce drapeau, je l’ai gardé spécialement pour ce grand jour, dit-il, un brin sentencieux.
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— Naturalisés français, expliqua le potache. Notre demande a été agréée.

Les you-yous de Fatima faillirent assourdir les Ben Djamil. Halima, Mansour et Salima, la toute dernière, gazouillèrent illico « Douce France ». Hassen demeura songeur et, se caressant le menton, tenta de se représenter ce que signifierait désormais pour lui cette identité toute nouvelle qui venait de s’ajouter à celle qui avait été sienne jusqu’à ce jour. Se percevrait-il différemment ?
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La permission paternelle obtenue, le jeune homme déchira d’un coup sec le bord de l’enveloppe, prit connaissance du contenu et, rayonnant, déclara à son père :
— Putain ! On est séfrans !
Hassen, pour qui le verlan était de l’hébreu, fronça les sourcils et considéra son fils d’un air égaré.
— On est quoi ?
— On est français, quoi !
Hassen commençait à se demander si le fiston n’avait pas ingurgité quelque breuvage proscrit par le Prophète ou, pis encore, grimpé à une de ces courtes échelles qui mènent droit aux paradis artificiels d’où l’on dégringole aussi presto.
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L’envoi, ajouta-t-il, provenait du ministère des Affaires sociales et de l’intégration.
À ces mots, l’éboueur se figea. Le regard soupçonneux, il observa son fils par-dessus son épaule et, bourru, lui demanda s’il avait fait une connerie.
Ali jura ses grands dieux qu’il était blanc comme neige, et Hassen s’enquit des motifs d’une lettre aux dimensions si imposantes, expédiée par un ministère d’une dénomination aussi grandiose. La permission paternelle obtenue, le jeune homme déchira d’un coup sec le bord de l’enveloppe, prit connaissance du contenu et, rayonnant, déclara à son père :
— Putain ! On est séfrans !
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Le papa ouvrit la porte de la salle d’eau et, avant de s’y engouffrer, se retourna pour demander s’il y avait du courrier. Ali, saisissant une enveloppe grand format posée bien en vue sur la commode, répondit par l’affirmative. L’envoi, ajouta-t-il, provenait du ministère des Affaires sociales et de l’intégration.
À ces mots, l’éboueur se figea. Le regard soupçonneux, il observa son fils par-dessus son épaule et, bourru, lui demanda s’il avait fait une connerie.
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Ali est là ?
— Où veux-tu qu’il soit ? S’il n’est pas dans la rue, il est là.
— Ils l’ont pris, au boulot ?
Sandwich au poing, Ali émergea de sa chambre, en tricot de corps sur un jean beaucoup trop large, délavé, rapiécé et même déchiré par endroits. Le regard vif de l’adolescent aux cheveux bruns crespelés évoquait celui de Hassen. Bien que lycéen, il avait postulé pour un emploi à temps partiel dans un restaurant de Saint-Hubert.
— Tu parles ! railla le fils. On était trois beurs et un camembert…
— Et ils ont pris le camembert, c’est ça ?… riposta le père sur un ton dont Ali se demanda s’il était révolté ou sceptique. Hassen, d’un pas de fantassin, se dirigea vers la salle de bains, talonné par son héritier.
— Je te jure, papa !
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Sitôt qu’elle entendit le pêne cliqueter dans la gâche, Fatima, la quarantaine, vêtue à l’orientale, alla au-devant de son époux pour l’embrasser. Leurs trois derniers, Halima, Mansour et Salima, lui emboîtèrent le pas et se jetèrent dans les bras de leur père.
— Je pue ! protesta Hassen. Vous ne pouvez pas attendre que je me sois lavé ?… Ali est là ?
— Où veux-tu qu’il soit ? S’il n’est pas dans la rue, il est là.
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Une plaque vissée sur la porte indiquait son patronyme : Ben Djamil. Sale, le front et les aisselles mouillés de sueur, Hassen donna un tour de clé. Il pénétra en soufflant dans le hall du trois-pièces. Un tapis effrangé au sol. Encadré au mur, un verset du Coran. Deux petits tapis muraux à dominante noire entre les étagères surchargées de bibelots de cuivre ciselé ou de céramique qui séparaient les manuels scolaires d’Ali, son fils.
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Les deux hommes se serrèrent la main.
— À demain, dit Hassen. Et fais bien attention à toi.
En des termes analogues, son collègue le mit en garde contre l’assassin xénophobe. Là-dessus, Moustapha descendit du camion pour faire l’emplette de trois pains à la boulangerie du coin.
Et Hassen, l’air soucieux, démarra.
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Aux instants de cafard, ils regrettaient parfois cette décision de s’exiler, tous deux conscients pourtant qu’à l’instar d’un camion à ordures, l’Histoire n’allait que de l’avant. Les regrets, toujours stériles, n’étaient jamais de mise. Ainsi, de sa voix déchirante, le chantait Édith Piaf, dont Hassen comme Moustapha possédaient des cassettes qu’ils écoutaient, en alternance avec celles des rossignols de leurs régions, lorsque les empoignait le mal du pays.
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Le Tunisien Hassen et l’Algérien Moustapha poursuivirent leur parcours, immuable depuis une décennie. Ils échangèrent de mornes réflexions sur leur situation d’ouvriers immigrés. Bien que fort régulière, elle leur semblait, depuis leur arrivée en terre de France, une anomalie du sort.
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Le souvenir de la mort tragique et mystérieuse d’Abderrahman les plongea dans la mélancolie. Ils en restaient convaincus, ce meurtre, commis en plein jour, était lui aussi lié aux origines du disparu. La police n’avait toujours pas élucidé le nombre assez troublant de précédents survenus au cours des dix jours écoulés.
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L’œil des éboueurs s’humecta.
— Pauvre Abderrahman, souffla Hassen. Même pas attendu la fin du deuil qu’ils lui ont piqué sa boucherie !
Moustapha hocha la tête.
— Ah, Hassen !… Où est-ce qu’on va acheter notre viande, maintenant ? Surtout que c’est bientôt l’Aïd !
— T’inquiète pas ! On achètera des moutons vivants. Et puis, y a la baignoire, non ?
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Il dévissait une enseigne peinte d’une main maladroite où s’inscrivait : « À la Merguez de Tunis ». La boucherie, close depuis plusieurs jours, embaumait à plein nez la tripe de mouton. Il l’eut bientôt remplacée par une autre, dont la calligraphie moderne annonçait : « À la Saucisse de Strasbourg ».
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Les éboueurs, s’esclaffant, grimpèrent dans leur véhicule. Dépitées, les deux femmes les traitèrent de radins et de pédés. Le camion démarra. Les deux amis, riant toujours, dépassèrent la statue équestre de Jeanne d’Arc. Casquée, l’épée brandie, elle semblait défendre la place contre des hordes d’envahisseurs. Un blond râblé vêtu d’une salopette, juché sur une échelle devant une devanture, sifflotait « À la claire fontaine ».
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En bottes et jupe de cuir verni, deux racoleuses arpentaient le trottoir.
L’une d’elles, une fausse blonde, interpella les éboueurs.
— Hé, les mecs ! Ça vous dirait de passer un bon moment avec nous ?
— Désolé, répondit Moustapha en souriant, on a promis fidélité éternelle à nos femmes !
— On vous fera monter au septième ciel ! Ça sera comme au paradis ! insista l’oxygénée.
— On est vierges, je te jure ! assura l’autre tapineuse, une brune tout en fesses.
Devant l’amusement des deux hommes, elle ajouta :
— On s’est fait recoudre avant-hier ! Rien que pour vous !
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Imité de Moustapha, Hassen quittait le volant dans un soupir, soulevait à tour de bras un des réceptacles. Les deux compères s’amusaient à identifier, à l’odeur de leurs déchets, les habitudes culinaires des différents quartiers. Ils juraient en arabe lorsque le fardeau empestait plus que de raison, ce qui était souvent le cas devant les boutiques des mareyeurs, les boucheries ou les restaurants.
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