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Citation de Danieljean


Jusqu’au jour où elle avait suivi son père, répondant sans un mot, avec le seul mouvement de son corps, à la parole qui forçait son désir, Marina s’était contentée de rêver sur le Désert, mais, à vrai dire, elle en était dans l’ignorance. Ce n’était pour elle que l’au-delà des collines natales, un espace indéterminé qui offrait son lieu aux légendes et aux poèmes. Du Désert, il semblait que tout pouvait naître, les hordes de barbares aussi bien que la procession des saints, le magma des puissances sataniques comme le tourbillon des anges de lumière. Les récits qui disaient ces contrées étaient encore plus fabuleux que les histoires des navigateurs, en ce que l’anecdote s’y trouvait comme niée par l’immensité d’un espace toujours identique à lui-même et par la vacuité d’un temps qui défiait toutes les tentatives d’action. Aussi bien, ces récits présentaient-ils toujours l’avortement du désir et le tarissement des intentions. C’était comme s’il existait, dans le monde, un très vaste lieu dont la nature même était qu’il ne s’y passât rien – sinon des commencements sans fin, des aventures sans épilogue, des raisonnements sans conclusion, des illuminations sans retour. Et Marina avait écouté avec attention les légendes du sable et du vent. Elle y avait perçu, quelquefois, une note particulière qui les distinguait aussi bien des fantasmagories des marins que des anecdotes des voyageurs revenus de Byzance. Dans les récits des marins, l’action jouait toujours un rôle : il y avait toujours des hommes aux rames et au gouvernail – et les énigmes surgissaient de la tension des volontés et de la lutte contre les éléments ; les histoires de Byzance mettaient en jeu d’autres ressorts, infiniment plus compliqués et plus subtils, qui figuraient toutes les passions humaines jusqu’à cette passion des passions qui est culte du désir pour le désir, quel qu’il soit ; mais les récits du Désert véhiculaient le dérisoire et l’inutile et rendaient accablant le sentiment d’exister. Il semblait que le Désert fût à lui-même sa propre fin et qu’au-delà, il n’y eût rien. Alors que Byzance définissait la diversité, la multiplicité, l’équivoque et, finalement, la tentation du labyrinthe et tandis que la mer dessinait le cercle parfait où chaque point de départ est, en puissance, un point de retour, le Désert était un enfoncement infini par rapport auquel les chemins cessaient d’être des chemins et où les pas se perdaient et où les lendemains s’annulaient dans le même non-sens que les veilles. Et sans doute cette image de l’Absolu avait-elle exercé sur l’âme de Marina toute sa puissance de fascination bien avant qu’Eugène eût prononcé le nom de Maria Glykophilousa et donné le signal du départ. En suivant son père, elle avait simplement suivi l’une des voies ouvertes, depuis son enfance, au fond de ses rêves. Cela suffisait-il pour justifier son entrée dans la vie religieuse ?
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