Claude Paillat

Ce livre est le premier d'une série de sept , jamais réédités me semble t-il, écrits par le journaliste Claude Paillat, dont la parution s'échelonna autour des années 1980 chez Robert Laffont.

L'auteur se propose de montrer, et de démontrer, au fil de ces sept tomes, l'irrésistible déclin de la France de la fin de la 1ere Guerre Mondiale jusqu'aux derniers soubresauts de la décolonisation dans les années 1960.

Le titre générique de la série " Dossiers secrets de la France contemporaine", ne doit pas faire illusion ; ici rien de vraiment secret , tout ce qu'écrit Paillat était disponible mais attendait un homme de bonne volonté pour mettre en forme et donner sens aux milliers de documents disponibles mais dispersés .



Le premier tome commence évidement à la signature du Traité de Versailles. Son titre annonce le programme : " 1919 , les illusions de la gloire". Tout est dit. La France , les Alliés, sortent vainqueurs du terrible conflit. La France est la plus durement touchée : 1 400 000 morts ! les régions industrielles du Nord et de l'Est totalement dévastées . C'est un pays exsangue qui accueille le 18 janvier 1919 la Conférence de la Paix au Quai d'Orsay, prélude à la signature du Traité de Versailles en juin 1919.

Un pays qui compte bien que " l 'Allemagne paiera" !

Parti de cet acte fondateur , l'auteur va se livrer à une enquête minutieuse en forme d'autopsie. Se limitant à l'année1919, il dissèque, il ausculte, il s'enquiert....

Tout y passe : l'économie, la politique, les mouvements sociaux, la politique étrangère, les péripéties parlementaires....Terrible constat. La France certes vainqueur, mais la France à genoux et déjà divisée !

Claude Paillat est avant tout un journaliste et sa vision de la France de l'époque , comme sa thèse sur le déclin inexorable du pays, résultent d'enquêtes minutieuses auprès de témoins encore vivants (dans les années 1970-1980) et de la consultations d'archives privées jusqu' alors inaccessibles.

On apprend beaucoup de choses. le style alerte et "journalistique" de l'auteur ne s'encombre pas de circonvolutions. Il pointe souvent là où ça fait mal. Déjà en 1919 , au sortir de la guerre, les problèmes que l'on rencontrera dans les années 1970-80 , désindustrialisation, manque de compétitivité de nos entreprises, palinodies des politiques,manque de crédits,perte de l'influence de la France, sont déjà bien présents ; à charge l'enquête que le ministre de l'industrie Eugène Clémentel (bien oublié...) diligente dans les milieux patronaux et syndicaux pour ausculter l'état de l'industrie française . Et Paillat de renchérir :" qu'a- t-on fait depuis pour résoudre ces problèmes ? "

Il passe en revue les provinces : Lyon, Lille, Marseille, Nantes. L'occasion pour l'auteur de mettre en avant des dynasties d'entrepreneurs et d'enquêter sur les groupements, tant ouvriers, que patronaux, que les survivants de la grande boucherie tentent de mettre en place , souvent pour pallier les déficiences d'un Etat qui n'en peut mais.

On ne s'étonnera pas que l'auteur conclue ce premier tome avec un chapitre consacré aux déboires du président Wilson devant le Sénat. Dans la belle construction idéaliste qui devait présider à la future paix , le président américain s'était engagé à faire ratifier le Traité de Versailles par le Sénat américain. On sait ce qu'il en advint : les rêves d'un monde parfait réglé par une SDN omnipotente dont les USA seraient le garant partirent en eau de boudin....On se contenta d'imprécations et de promesses : " l'Allemagne paiera" !

Pour les passionnés d'histoire (évidemment ! ) à lire absolument (on en trouve sur internet pas trop chers..)

Le 3e tome de cette série de sept, censée embrasser soixante ans d'histoire de France , du Traité de Versailles de 1919 à la victoire de la Gauche en 1981.

Ce troisième tome concerne la période qui débute par le krach de 1929 à Wall Street jusqu'aux années précédant la seconde guerre mondiale. Avec les chapitres obligés de l'affaire Stavisky, du 6 février 1934 où la République trembla sur ses bases, du Front Populaire, de la Guerre d'Espagne...

Comme dans les deux livres précédents , l'auteur, Claude Paillat, de formation journalistique, fouille les archives, questionne les mémoires, relie les informations dispersées , avec en ligne de mire le dessein de montrer le long affaiblissement de notre pays, de la victoire en trompe-l'oeil de 1918 aux soubresauts de la décolonisation qu'eût a gérer la Quatrième République.

Il n'est pas tendre avec le personnel politique de la Troisième République. Les portraits qu'il dresse des responsables de partis , et plus particulièrement du Parti Radical, pilier des "combinazione" gouvernementales, (Edouard Herriot, Camille Chautemps, P.E Flandin...) , sont d'une cruauté acérée. C'est avec tristesse et avec un peu de honte que l'on découvre alors toute l'impéritie des "élites" de la République. Et s'il n'y avait que les politiques...Le monde des affaires et la caste des militaires ne sont pas épargnés. Paillat dans une vaste et minutieuse enquête dans les principales villes industrielles de notre pays (Bordeaux, Lyon, Nantes, Lille...) tâte le poux des dirigeants d'entreprises et leurs efforts pour faire barrage aux lois du Front Populaire. Là aussi, que d'aveuglements ! la majorité des patrons (souvent de droit divin...) n'a pas compris que le monde avait changé. Ils gèrent souvent leurs entreprises comme des boutiquiers balzaciens. Surnagent quand même quelques figures audacieuses de capitaines d'industrie, tels les familles Decré et Amieux à Nantes, qui jouent le jeu de la concertation avec les syndicats ouvriers.

Claude Paillat est encore plus sévère avec les militaires qui semblent ne rien avoir appris de la dernière guerre. Alors que l'Allemagne réarme à marche forcée, portant son armée à 600 000 hommes, bien que le Traité de Versailles la limita à 100 000, l'Etat-Major de nos armées se perd dans des luttes picrocholines, des palinodies ridicules , des rodomontades viriles qui font le miel des chansonniers. Quand ,en 1936 , sous le ministère d'Albert Sarraut, Hitler réoccupa, sur un coup de bluff (les dirigeants de la Wermacht étant plus que sceptiques sur le succès de l'opération) la rive gauche du Rhin , la France resta l'arme au pied , attendant l'avis de Londres...

De ce constat amer se dégage une impression de désastre imminent. Parce-que , évidemment, nous, nous connaissons la suite. Pourtant des hommes lucides ont tenté de faire entendre leurs voix de Cassandre : de Kerilis , le Colonel de Gaulle, même un politique comme Paul Reynaud, même Léon Blum, tous n'étaient pas aveugles .Malheureusement le système de la Troisième République était arrivé à bout de souffle, et du bel élan républicain et laïque qui avait présidé en 1875 à sa fondation , il ne restait que les détestables habitudes de prévarications et de magouilles électorales .

Dans cette "Chronique d'une catastrophe annoncée", Claude Paillat, qui n'est pas précisément marxiste, a l'honnêteté de ne pas "taper" sur le Front Populaire pour en faire le bouc émissaire de la future défaite. Certes il pointe les grèves à répétition, les "bisbilles syndicales " entre la CGT et les autres syndicats ouvriers, mais pour lui ces "Fronts Populaires" (n'oublions pas celui de l'Espagne à la même époque) , ne sont qu'épiphénomènes à replacer dans un temps long ; le mal est autre et se situe plus en amont. De ces épiphénomènes il s'en fait l'historien et ne dédaigne pas s'en faire le procureur. Pour notre grand plaisir, et aussi je dois le dire pour une certaine lassitude à constater que les problèmes des années 1930 sont les mêmes qu'aujourd'hui avec qui vous savez : déficit des comptes publics, manque de crédits, désindustrialisation (hé oui déjà...) , déflation ou inflation , (sous le ministère Laval en 35 prélèvement d'autorité d'une taxe de 10/100 sur les salaires des fonctionnaires...) , et toujours le financement des partis politiques...

L'histoire est un perpétuellement recommencement !

Très complet, cet ouvrage présente les grands moments de la guerre éclaire à l'ouest. Et ce sur l'ensemble des fronts, depuis toutes les capitales concernées. L'approche et aussi tant militaire que politique. Ce qui décuple l'intérêt pour cette lecture.