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Citation de Henri-l-oiseleur


et encore cette photographie d'un champ de bataille prise d'avion (pas la terre, le damier des prés, des labours, des bois : une étendue croûteuse, pustuleuse, comme une maladie du sol même, une lèpre, sous l'effet de laquelle les reliefs, les ravins, les tracés rectilignes des anciennes constructions auraient été pour ainsi dire gommés ou plutôt déglutis, attaqués par quelque acide, quelque suintement purulent) et qui illustrait une des dernières pages du manuel d'Histoire, comme si celle-ci (l'Histoire) s'arrêtait là, comme si la suite des chapitres avec leurs résumés en caractères gras à apprendre par coeur, la longue suite des images qui les illustraient (le bas-relief sur lequel on pouvait voir ce roi en robe longue, coiffé de son bonnet géométrique, barbu et méticuleux, crever de sa lance les yeux des captifs agenouillés, et la reconstitution des trirèmes romaines, et les Très Riches Heures du Duc de Berry, et le portrait de ce roi soupçonneux et fou apparaissant sous son chapeau de loutre entre deux rideaux, avec son nez pendant, ses sourcils glabres, ses yeux de pigeon cerclés de rose, et les marquis en bas de soie noire et perruque prêtant serment, et le tsar sur les quais de Toulon parmi les claquements de drapeaux, les messieurs à gibus et les salves jaune et rouge des canons) n'avaient été écrites, sculptées, peintes, gravées, qu'en vue de cette seule fin, ce seul aboutissement, cette apothéose : les étendues grisâtres, mornes, informes, sans traces humaines (même pas de cadavres, même pas l'évocation du cliquetis des armes, des galops, des charges, des éclats, des cuirasses) à la contemplation desquelles me ramenait une sorte de fascination vaguement honteuse, vaguement coupable, comme si elles détenaient la réponse à quelque secret capital du même ordre que celui des mots crus et anatomiques cherchés en cachette dans le dictionnaire, les lectures défendues, clandestines et décevantes

pp. 111-112
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