Anne était belle, courageuse, et tellement discrète. Elle était aussi l'amour et la tendresse. Elle était douce et pertinente.
Elle avait une grosse voix. Un corps menu. Un visage pur et romantique.
Aussi, elle était d'une politesse exquise, démodée, éternelle. Après tout, comme dit Jouhandeau, la sainteté n'est peut-être que le comble de la politesse.
Nous nous aimions follement.
La mort est venue, comme une monstrueuse supercherie, interrompre tout. Tout ce qui commençait à peine.
C'est arrivé la dernière nuit de juillet, discrètement, dans un Paris désert.
Anne venait d'avoir quinze ans.
Ce dernier jour - 31 juillet 1970 - commence à trois heures du matin.
Le mois de juillet s'écoula ainsi. L'hôpital se vidait, de ses malades et de ses soignants.
Il faisait très chaud. On pouvait maintenant faire des courants d'air, ouvrir les portes sur le couloir, parce qu'il y avait moins de bruit. Les médecins se raréfiaient à la visite du matin. On faisait la chasse aux cafards. J'avais distribué des bombes. Mais on en trouvait toujours sournoisement installés dans les découpages.
Le soir on a enlevé l'aiguille du bras gauche, à huit heures, lorsque je partais. La transfusion était finie. Mais on a remis une bouteille pleine pour continuer la perfusion toute la nuit.
C'est le lendemain matin du 8 juillet que j'ai trouvé Anne avec le bras énorme et tuméfié.
Toute la nuit le liquide s'était écoulé à côté de la veine, à l'intérieur du bras. C'est l'infirmière du matin qui s'en était aperçue. Mais elle ne l'avait pas encore signalé à la surveillante en chef. J'allai la trouver. Elle était visiblement embêtée. Elle a ordonné qu'on fasse des compresses à Anne.
Anne ne dit rien mais pince les lèvres quand on touche à son bras.
Je suis allée en parler à l'interne sans le dire à Anne parce qu'elle m'avait supplié de ne rien dire. L'interne n'y peut rien. Personne n'y peut rien. déjà il n'y a pas assez d'infirmières en temps normal. Mais maintenant c'est le mois de juillet, elles partent en vacances. L'effectif se réduit et on ne trouve pas de remplaçantes. Et puis, c'est tellement mal payé, ce métier, dans les hôpitaux.
C'est à ce moment-là aussi que j'ai parlé de "rein artificiel" avec le professeur. Il m'a dit qu'il n'en avait pas assez, qu'on était obligé de "débrancher" les enfants la nuit parce qu'il n'y avait personne de suffisamment compétent pour les surveiller, qu'il menait une lutte âpre avec l'administration pour obtenir plus de crédits, plus de personnel.