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Citation de MegGomar


On devient fou à Montlouis. C’est quelque chose dans l’air.
Comme dans le sirocco de Mort à Venise. Ce n’est ni Venise ni Dirk
Bogarde, c’est cette Touraine pourrie et c’est mon père. Une sorte
d’antimatière, mon père, une puissance négative qui absorbe tout, tout élan
vital, tout désir même négatif, toute la joie, toute la colère. Trente ans que
les médecins disent que ce n’est pas normal qu’il soit vivant, que personne
ne peut vivre avec tout le poison qu’il a dans le corps, avec tout ce qu’il a
pris et qu’il continue plus ou moins de prendre. Mais c’est un détail cette
histoire de came, c’est la surface, la vérité derrière c’est la fixité, le rien, le
mou, le non qu’il oppose à tout. Si on ne se parle pas, lui et moi, si je ne lui
dis rien, c’est qu’avec lui il n’y a rien à dire. Vanitas vanitatum, dit son
regard gris dès qu’on commence une phrase, dès qu’on tente un geste.
Trente ans que ça les étonne qu’il ne meure pas. Que j’entends qu’il est hors
statistiques. Comme si c’était un concours. Comme s’il n’y avait que ça à
dire. Tic-tac tic-tac. Ils n’ont rien compris. C’est de ça qu’il vit. De faire
s’effondrer les volontés. Celles des autres. C’est sa force puisqu’il en faut
toujours une pour vivre. Plus fort qu’un ninja, papa. Trente ans, quarante
ans, combien de temps ? à faire mourir les choses, à jamais mourir, sans
qu’on puisse même le haïr puisqu’il est tellement charmant mon père. Il est
l’innocence, toute la saloperie de l’innocence. Même depuis l’autre bout de
la maison, il me contamine. Si je restais une heure de trop, je finirais par
penser que je suis comme lui. Incapable de m’arracher à rien. Je finirais par
croire au sang, par y voir une loi. Je finirais par croire qu’on est tous pareils
dans cette famille. Qu’on est des gens sur qui on ne peut jamais compter. Ça
n’a rien à voir avec l’amour. Il y a beaucoup d’amour. Mais un amour les
bras ballants. Un amour désolé. Tous là à se regarder les uns les autres
s’enfoncer dans les sables mouvants. Incapables d’un geste. D’un simple
geste. Ou bien c’est lui, seulement lui, qui nous tue tous lentement. Ma
mère d’abord. Les autres ensuite. Je ne me sens jamais coupable de ne pas
m’occuper de lui. On s’aime de loin. Trop près j’y laisserais ma peau. Peut-
être que mon fils fait la même chose. Peut-être qu’il sauve sa peau lui aussi.
Il s’en faudrait d’un fil quand je vois mon père pour que je croie à ces
saloperies. Du poison, je vous dis. Je sais bien que c’est la terreur de ma
sœur aussi, cette loi. C’est pour ça qu’elle ne me voit jamais, qu’elle ne
m’appelle pas, que je n’ai aucune nouvelle d’elle depuis que j’ai des
emmerdes. Une famille où le geste est impossible.
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