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Citation de enkidu_


Smith est ici philosophe autant qu’économiste. Le mot « intérêt » ne revêt pas encore, à l’époque où il l’utilise, la signification neutre qu’il a acquise depuis pour caractériser le calcul économique. Comme le montre brillamment Albert Hirschman, lui-même également économiste et philosophe, dans son livre Les Passions et les intérêts, c’est un terme qui a longtemps été synonyme de cupidité, figurant en bonne place dans L’Enfer de Dante au côté de l’orgueil et l’envie. Adam Smith, dans un ouvrage publié avant La Richesse des nations et intitulé Théorie des sentiments moraux, montre qu’il n’a aucune illusion sur la portée de ce terme. « Quel est l’objet de tout ce labeur et de tout ce remue-ménage qui se font ici-bas ? Quel est le but de l’avarice, de l’ambition, de la poursuite des richesses, du pouvoir, des destructions ? D’où naît cette ambition de s’élever qui tourmente toutes les classes de la société et quels sont donc les avantages que nous attendons de cette fin assignée à l’homme et que nous appelons l’amélioration de notre condition ? » La réponse proposée par Smith est ce que, suivant Hegel, on appellerait le désir du désir de l’autre. « Nous n’espérons d’autres avantages que d’être remarqués et considérés, rien que d’être regardés et considérés, rien que d’être regardés avec attention, avec sympathie et approbation. Il y va de notre vanité, non de nos aises ou de notre plaisir. »

Ce qui distingue la cupidité des autres passions tient toutefois en une différence essentielle. Bien dirigée, elle peut contribuer au bien public, alors que les autres passions sont destructrices. L’auteur qui inspire Smith est Bernard Mandeville, qui a publié en 1705 une Fable des abeilles, dont le sous-titre est éloquent : vices privés, vertus publiques. La conclusion de la Fable a valeur de programme : « Le vice est aussi nécessaire dans un État florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu, seule, rende jamais une nation célèbre et glorieuse. » En montrant que l’ambition, la vanité et le besoin de considération peuvent être assouvis par l’amélioration des conditions matérielles, Smith peut énoncer sa théorie de « la main invisible », selon laquelle « sans aucune intervention de la loi, les intérêts privés et les passions des hommes les amènent à diviser et à répartir le capital […] dans la proportion qui approche le plus possible de celle que demande l’intérêt général ».

Il n’est plus utile, dès lors, de s’interroger sur les mobiles moraux qui conduisent les hommes à vouloir s’enrichir, il suffit de se concentrer sur leurs conséquences. Le marché n’a nullement besoin de savoir où sont le bien et le mal, il se contente de mesurer l’effort que chacun est disposé à fournir pour s’enrichir.
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