« Homo numericus » de Daniel Cohen lu par Cyril Romoli et Marie-Eve Dufresne l Livre audio
Plusieurs aspects de cette révolution du Big Data en cours s'inscrivent en fait dans les tendances antérieures. Elle prolonge à sa manière la société de consommation traditionnelle en prônant l'avènement d'une société du sur-mesure au plus près des désirs des consommateurs mais au terme de laquelle il s'agit toujours d'acheter du dentifrice ou des voitures.
Les sociétés modernes sont avides de croissance, davantage que de richesse. Mieux vaut vivre dans un pays pauvre qui s'enrichit (vite) que dans un pays (déjà) riche et qui stagne. Les Français ont follement apprécié les trente glorieuses, car tout était neuf. Mais au bout du compte, la page reste reste toujours blanche du bonheur à conquérir. p. 154
La critique romantique du monde moderne vise la prétention de la science à gouverner les peuples, alors qu'elle est incapable de comprendre la souffrance de l'âme humaine. La science est dénoncée comme une pensée sans sagesse. Elle crée un monde déshumanisant, désenchanté par la disparition de la religion, reléguée au rang des superstition. Tourgueniev caricature son héros Bazarov, dans Pères et fils, comme un adepte fanatique du scientisme, un utilitariste convaincu. Flaubert fait de même avec le pharmacien Homais.
C'est contre la double dissolution numérique du rapport à autrui et au monde réel qu'il faut lutter. C'est avec les vivants et sur cette planète qu'il faut accepter de vivre.
Dans le monde d'aujourd'hui, ce ne sont plus les machines qui tombent en panne, ce sont les hommes eux-mêmes.
La consommation est devenue comme une drogue, une addiction : le plaisir qu'elle procure est éphémère.
Repenser le syndicalisme, l'Université, penser la gouvernance mondiale d'un côté, celle des villes et des collectivités locales de l'autre, devient aussi important que de pérenniser les fonctions classiques de l'Etat régalien (police, justice, armée). Pour chacune de ces institutions, la tâche est la même: construire une infrastructure sociale qui aide les personnes et les pays à vivre un destin digne de leurs attentes, qui les fasse échapper à l'alternative d'un monde réel trop pauvre, et virtuel trop riche.
L'Angleterre n'a pas s' adapter son système de formation. Les élites continueront de fréquenter les collèges chics où l'on apprend l'art des codes sociaux. En France et en Allemagne, les grandes écoles d'ingénieur, créées pour combler le retard avec l'Angleterre, fourniront les cadres de la seconde révolution industrielle, celle de l'électricité et du moteur à explosion.
1929 est à cet égard la première crise "totale" du monde industriel. Le rôle joué auparavant par l'agriculture, comme amortisseur, a disparu. Pour la première fois, le retour à la campagne cesse d'être une option pour les ouvriers en détresse. Il faudra attendre la Seconde Guerre mondiale pour que l’État providence joue ce rôle protecteur.
Le paradoxe central du monde contemporain, peut ainsi se résumer de la manière suivante. L’entre-soi règne, accomplissant de manière étroite la promesse d’horizontalité qui se cherchait dans les années soixante. Ce faisant, les inégalités explosent, aucune force de rappel ne liant plus les couches sociales comme le faisaient hier les grandes entreprises industrielles. Dans le domaine des mentalités, une boucle perverse se met en œuvre entre la ghettoïsation de la société et la méfiance générale à l’égard d’autrui. Celle-ci n’est pas directement causée par les réseaux sociaux : elle est le résultat de forces lourdes qui ont commencé à se mettre en œuvre bien avant qu’ils n’apparaissent. Mais loin de créer des ponts entre les communautés, ils donnent un écho assourdissant à la méfiance publique, poussant à l’extrême l’incommunicabilité des différents groupes sociaux.