Il manquait d'air, avait besoin de marcher. Il aimait se perdre dans les rues, l'esprit ailleurs, lorsqu'il devait mettre de l'ordre dans le vrac de ses idées.
Elle laissait tomber sa robe et se mettait à l'eau puis l'invitait à la rejoindre pour se glisser dans sa petite maison.
Les émois de sa tige de jade, ne sachant faire la part du rêve et de la réalité, le tirèrent brutalement du sommeil.
Le temps passait. Amédée avait le sentiment de s’installer dans une vie de province étale, entre un oncle très paternel et une cousine qui aiguisait ses sens. Voilà maintenant trois semaines qu’il était arrivé. Parfois le vent soufflait en rafale avec grande violence et cela pouvait durer des jours. Le comte ne changeait rien à ses habitudes. Le mistral avait beau ployer les arbres, il partait l’après-midi rendre visite à ses taureaux avant d’aller patauger dans les rizières. Amédée s’énervait. Si le comte était incapable de prendre de prendre une décision, lui la prendrait. IL partirait seul. Seul, il traverserait les mers. Seul, il se rendrait au bout du monde. Seul, il triompherait de l’adversité. Et seul, deviendrait le grand artificier du roi.
Le soleil, encore bas à cette heure-ci, donnait au formica des tables de la salle des reflets irréels. Clélia - les nouvelles du jour déployées devant elle - plissait les yeux en attente de la fin de la plainte du percolateur. À contrejour, ses jambes légèrement inclinées offraient une silhouette élégante. Elle faisait partie de ces femmes au bassin étroit, à la poitrine épanouie sur lesquelles le temps avait peu de prise. Beaucoup lui enviaient son port, fruit d’années de danse imposées par une éducation classique. Cette éducation lui avait permis de se forger une culture respectable et appris comment adopter une attitude de réserve apte à masquer son peu d’intérêt pour le conformisme.
Ses parents, admirateurs de Stendhal, lui avaient donné le prénom de l’une des héroïnes de la Chartreuse de Parme, développant chez elle un goût prononcé pour le romanesque.
Enfant, lorsqu’elle se trouvait en situation di cile, il lui arrivait d’appeler l’écrivain à son secours. Un peu comme d’autres demandaient le soutien du petit Jésus. En diverses occasions il lui parut que Stendhal avait répondu à son appel. Comme lorsqu’elle avait rédigé un mot d’absence à la place de sa mère. Elle avait sollicité son aide, craignant d’être découverte. Elle ne l’avait pas été et en avait déduit qu’il était intervenu. Sans doute la solidarité des écrivains. Ce souvenir l’amusait encore. Stendhal était devenu l’ami idéal à qui, toute sa vie, elle avait pu con er ses secrets, ses joies, ses déceptions et ses révoltes intérieures.
Et si chacun de nous devait régler sa note ?
Sa propre note, toute seule, comme une idiote,
née d'une larme d'inquiétude, d'un moment de béatitude,
qui pourrait affirmer qu'elle est réglée, ajustée ?
Si elle est unique, on ne peut la comparer.
Alors, réglons toutes les notes et pleurons de rire,
laissons cet océan de bonheur et de joie nous envahir.
Le mistral avait ignoré leur départ. Le voyage entrepris était si important qu'il en avait eu le souffle coupé.
Qu'étaient les plaisirs, sans les interdits ?