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Citation de mimo26


Où Valentine, en tant que rapporteuse, raconte les événements de 1851 dans un village horloger, quand le médecin israélite a été chassé par le gouvernement, mais défendu par les villageois.

On a été réveillées tôt par le bruit des pelles qui déblayaient la neige devant les portes, dégageaient les chemins jusqu’à la route où le triangle passerait. Toute la nuit il avait neigé sur le Vallon et ses villages. Les pères et les grands frères travaillaient dur et nous, les fillettes derrière les vitres de nos maisons, on voyait le panache de buée qui sortait de leur bouche. Une couche épaisse arrondissait le paysage, sans oublier les haies de buis du jardin potager, les murs de pierres sèches, les branches des sapins qui prenaient une jolie courbure. On allait s’habiller du dimanche pour accompagner nos parents au culte. Dès que la route serait dégagée, le père Grimm irait à pied, avec ses deux filles (c’est-à-dire Blandine, huit ans, et moi, Valentine, deux ans de moins).

Deux chevaux tiraient un triangle fait de deux larges planches en V, lestées de parpaings. Les bêtes peinaient dès que la route grimpait, la vapeur qui s’échappait de leurs naseaux semblait annoncer un épuisement définitif. Elles avaient suivi d’abord la Grand-Rue puis, par paliers, en montant, avaient déneigé les chemins qui longent les flancs de la montagne du Droit, étaient passées plus haut devant les fermes des parents de Colette et de Juliette.

Il était huit heures quand enfin la rue qui traverse la rivière Suze et mène devant chez les Grimm avait été raclée. On savait que le triangle irait ensuite libérer une à une les maisons isolées de l’Envers. Chaque village avait son équipement d’hiver tiré par un ou deux chevaux, selon l’importance de ses pentes. Dans les villages du Bas-Vallon, étalés sur un fond plat, un animal de trait suffisait. À Courtelary, un bœuf seul s’attelait au triangle.

À neuf heures et demie, les cloches des églises du Vallon, emmenées par celles de la collégiale de Saint-Imier, ont appelé au culte pendant tout un quart d’heure.

Grâce au son étouffé, on mesurait à l’oreille l’épaisseur de la couche de neige. Les derniers flocons atterrissaient en douceur. Les nuages glissaient vers la France, on espérait un ciel bleu avec un froid piquant pour la sortie du culte. En cette saison, le soleil ne brillait jamais sur l’Envers, se contentait d’illuminer la montagne du Droit d’un bel éclat qui donnait à la couverture neigeuse une teinte bleutée.

Au Vallon, même les vieux ont de la peine à prévoir le temps parce que personne ne voit jamais le ciel en grandes dimensions. Il est pris entre deux chaînes de montagnes couvertes de sapins. Les nuages se préparent cachés. Tout d’un coup ils sont là. Quand ils disparaissent derrière la crête, impossible de savoir où ils filent.

(Lors du cantique final, Blandine qui aimait se moquer de moi parce que j’étais plus petite qu’elle m’avait posé une devinette : Où s’en va le blanc de la neige quand elle fond ? Entre sœurs, on n’est pas tendres. Enfermée dans ma bouderie, je n’avais pas trouvé de réponse.)

On était le dimanche 12 janvier 1851, à Saint-Imier en Suisse, dans la partie francophone et jurassienne de l’État de Berne, juste avant onze heures, à la sortie du culte.



La poudreuse ne convenait pas pour tasser des boules de neige. La bande étroite de ciel au-dessus du Vallon était passée au bleu. Dans l’attente du défilé de la fanfare, la population s’était rassemblée sur la place du Marché et le long de la Grand-Rue. Colette et Juliette, qui allaient vers leurs treize ans, se faufilaient entre les adultes. On était là, les fillettes qui un jour émigreraient à l’autre bout du monde. Perchées sur les épaules de leur père, certaines d’entre nous distinguaient le porte-drapeau qui retenait dans son baudrier la hampe de la bannière brodée au premier rang des musiciens. Ils avançaient au rythme des tambours. Au coup de sifflet du chef, ils ont saisi leur instrument, compté trois pas, entonné le premier des quatre morceaux du répertoire.
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