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Citation de mimo26


25 septembre, mercredi après-midi


Il l’a repérée près de la grande volière. Elle est restée longtemps les mains accrochées au grillage, à contempler les oiseaux multicolores, les iguanes et les caméléons. Il a observé son profil, la délicatesse de sa bouche aux lèvres un peu boudeuses. La douloureuse tension dans son corps chaque fois qu’elle lâchait le métal pour relever une mèche obstinément vagabonde. Quelle chance il a eue aujourd’hui de tomber sur elle !

Chaque fois que les cils sombres se relevaient sur son regard, la contraction de ses propres mâchoires l’obligeait à abaisser les jumelles pour respirer. Les mains tordues d’impatience, à attendre que son cœur cesse de l’assourdir pour qu’il puisse continuer à l’épingler à travers les optiques ou le zoom de l’appareil photo. Nom de Dieu ! Quelle élégance ! Un pur joyau.

Il l’a suivie, il a su, comme toujours, être inodore et incolore. Invisible. Elle a passé un temps infini au royaume des petites bêtes à épier la vie sourde de cette faune minuscule dont elle n’imagine même pas ce que certaines d’entre elles sont capables de faire.

Elle semble patiente. Sera-t-elle docile ?

Au contact des fauves, elle a exprimé de la réserve. Mais, étrangement, aucune peur. Il lui a expliqué les lions, en un murmure que, forcément, elle ne pouvait entendre.

À peine a-t-elle écouté, d’ailleurs, comme s’il n’avait rien à lui apprendre. Il a su tout de suite qu’elle serait différente, qu’elle montrerait de la perfection dans l’exhibition, Dieu soit loué, mais aussi autre chose qu’il a du mal à cerner et qui l’inquiète un peu.

L’heure a tourné, le temps a filé. Bientôt l’ombre va l’engloutir et elle disparaîtra dans une voiture, un train, un bus. Il la perdra à jamais. Impossible.

Il a poussé le bouton de son talkie-walkie pour le remettre en marche. L’appareil a grésillé, une femme a demandé « c’est qui ? ».

— C’est moi, a-t-il dit, et sa voix en surtension était méconnaissable.

— Magnus ?

— J’ai la fièvre, mal à la gorge…

— Ah oui ! Ça s’entend !

— Je rentre.

— Tu seras là demain ?

Il n’a pas pris le temps de répondre. Tout ce qui comptait c’était la silhouette qui s’estompait déjà dans la brume et qu’il allait bientôt perdre. D’un geste brusque, il a détaché la dragonne du talkie-walkie, a jeté l’appareil au sol et couru pour reprendre l’avantage. Il a longé ce chemin insoupçonné des visiteurs surplombant l’itinéraire qu’elle a emprunté pour quitter le parc. Arrivé au bout, il a recouvré souffle et contenance. Cette fois, il avait de l’avance sur elle. Il l’a vue arriver.

La queue-de-cheval dansait sur ses épaules. Elle a ri au ciel qui pleurait.

2

Un mois et demi plus tard…

Vendredi 14 novembre, 18 h 30


Au sixième étage de la rue des Trois-Fontanot à Nanterre, le chef du groupe des mineurs de l’OCRVP, un des offices centraux de la police judiciaire, occupait une pièce située pile entre les deux open spaces qui hébergeaient chacun la moitié des membres de l’équipe. Spécifiquement créé au sein de l’Office pour lutter contre les crimes et atteintes graves aux enfants, le groupe traquait au jour le jour les pédophiles qui, à l’abri derrière leurs écrans, matraquaient la Toile de photos immondes ou tentaient d’entrer en contact avec de jeunes victimes. Ses attributions s’étendaient aux enfants disparus enlevés, tués, enfouis quelque part, dans une forêt ou un lac. Des affaires complexes dont on savait qu’elles seraient longues à élucider, demanderaient un temps et un investissement que les services traditionnels ne pouvaient leur consacrer. Les dix membres du groupe s’appuyaient sur l’unité de psycho-criminologie au sein de laquelle Alix de Clavery, la dernière arrivée, s’était fait une spécialité de ces atteintes gravissimes à l’enfance.

À travers les portes toujours ouvertes, la capitaine Valentine Cara avait en ligne de mire tous ses collaborateurs et les quelques unités centrales qui moulinaient en permanence pour repérer les publications toxiques. Elle avait entendu l’exclamation du lieutenant Grégory Fix.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Un site…

Rien d’exceptionnel, exprima la moue de Cara qui fit mine de se replonger dans la rédaction de son rapport d’enquête sur une filière tentaculaire concernant des échanges de photos pédopornographiques de très jeunes enfants, avec quelques dérapages du côté de la zoophilie. Dix personnes avaient été arrêtées et le dégoût n’en finissait pas de ronger l’équipe. Il avait fallu affronter ces images et ni le professionnalisme, ni la distance nécessaire au bon déroulement de l’enquête n’avaient suffi à contenir quelques débordements violents à l’égard des mis en cause. Edwige Marion, la directrice de l’Office, avait imposé que deux des policiers les plus touchés prennent quelques jours de repos, réduisant ainsi l’équipe.

— Tu peux venir ? relança le lieutenant Fix.

Valentine Cara enregistra le paragraphe qu’elle venait de rédiger, se leva. Ses rangers firent résonner les dalles de plastique tandis qu’elle traversait la pièce commune où les bureaux étaient accolés les uns aux autres. Debout entre deux postes de travail inoccupés, une femme brigadier nouvellement affectée semblait encore se demander où elle était tombée. Comme si elle n’était venue là que pour prendre son « galon ».

Cara l’interpella avec brusquerie :

— Amène-toi, Jessica ! Tu vas t’instruire et tu auras moins l’air de t’emmerder !
La jeune policière remua le buste avec nonchalance pour montrer que le sarcasme ne l’avait pas atteinte. La capitaine, elle, ne décolérait pas : pour intégrer l’Office, il fallait être volontaire et ensuite, s’accrocher. Ce n’était pas un lieu de passage. Tous les agents avaient plusieurs années de présence dans le groupe et avaient postulé, après avoir servi dans d’autres unités. Ainsi, elle, Valentine Cara, avait demandé instamment à Edwige Marion de lui en confier les rênes, un an auparavant, parce qu’elle avait besoin de ce défi dans sa carrière où elle avait déjà vu des horreurs sans encore rencontrer les pires. Les candidats ne se bousculaient pas, cela étant. Aucun homme, après le départ du précédent chef de groupe, ne s’était porté volontaire. Cara évitait de se demander combien de temps on peut tenir dans un environnement comme celui-ci. Les plus motivés restaient parfois une dizaine d’années, les autres guère plus de trois ans et la directrice veillait à ce que la lassitude et l’écœurement n’obèrent pas la qualité du travail en forçant parfois le turnover.

Cara se pencha sur l’épaule gauche de Grégory Fix, la brigadière Jessica Manière sur l’autre. Le lieutenant agrandit l’image. Le nom du site apparut : petitesmiss.com

Dans un silence tendu, les images défilèrent. Des fillettes, classées par tranches d’âge, posaient en tenue légère. Affublées de lingerie sexy, elles arboraient des postures suggestives. Les plus jeunes avaient moins de 2 ans, les plus âgées pas plus de 11 ou 12. Le défilé de mode prenait, par moments, des allures pathétiques soit parce que les enfants semblaient mal à l’aise soit, au contraire, motivées à l’excès par l’exercice ou, plus sûrement, stimulées par un adulte invisible. Mimiques outrageuses, provoc affligeante. Chaque ensemble de lingerie portait un nom et le prix de vente était indiqué en dessous, en tout petits caractères. Le moindre string, le plus minuscule soutien-gorge ou porte-jarretelles valait une fortune qui doublait ou triplait dès que l’article comportait un élément de luxe : fourrure, strass, cuir. Pour bien montrer l’intention du vendeur, plus le linge se voulait allusif, plus les attitudes des modèles étaient démonstratives.

— Tu as un contact ? demanda la capitaine comme si cela coulait de source.

— Non, ils ne répondent pas. Je ne suis pas certain que ce soit un site vivant. Plutôt une vitrine… Il est probable qu’ils organisent des défilés, en plus des séances photos, expliqua le lieutenant, ces articles pourraient servir à des concours clandestins de mini-miss…

Apparut à l’écran une enfant de 4 ou 5 ans, à quatre pattes, appuyées sur les coudes, et tenant, entre ses mains jointes, une glace qu’elle léchait en coulant au photographe une œillade qui n’était que déchirante. Une plus jeune encore cachait une main dans sa culotte de soie et dentelle, yeux mi-clos, un sourire artificiel sur les lèvres.

Le lieutenant Fix avait relevé l’essentiel de ce qui était accessible via le site : vente en ligne uniquement, paiement idem. Pour ce dernier point, le circuit prenait sûrement quelques détours avant d’atterrir en Russie ou dans un de ses anciens satellites dont on connaissait le peu d’empressement à partager les informations et à l’entraide judiciaire. Les livraisons se faisaient, en principe, par la Poste qui confirmait ainsi son statut involontaire de vecteur de nombreux trafics. Mais Grégory Fix doutait de ce dernier point. Il subodorait des dessous, si l’on pouvait dire, autrement plus trash.

Valentine Cara se releva brusquement :

— Identifie-moi ces salopards ! ordonna-t-elle.

— J’ai déjà essayé mais comme je te l’ai dit…
— Persiste !… Jessica, tu te mets là-dessus avec Grégory !

— D’accord, acquiesça la nouvelle recrue, comment on fait ?

— Vous vous débrouillez pour établir le lien et on avise.

— Et pour la qualif ?

La jeune femme rechignait, soit parce qu’elle manquait vraiment de motivation, soit parce que la tête du coéquipier que venait de lui imposer la chef de groupe ne lui convenait pas.

— Je doute, fit Valentine qui sentait la moutarde lui monter au nez, que ce site détienne l’agrément nécessaire à l’emploi de jeunes enfants comme mannequins… Qui plus est, pour ce genre de fringues.

La capitaine posa sur Jessica Manière un regard pénétrant :

— Pour ta gouverne, les concours de miss sont interdits en France pour les moins de 13 ans depuis 2013. Ce genre d’exhibition l’était déjà avant, pas besoin de préciser.

— C’est courant aux États-U
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