Oui, des camarades, il y en a eu,
On partageait le dernier bout de pain misérable,
la dernière bouffée de gros gris.
On croyait à la force,
à la témérité.
On ne croyait pas aux rumeurs délirantes,
on était capable de serrer les dents,
de sortir du jeu.
Il y avait même des amis, et ce n'était pas chose facile
que de trouver une goutte d'amitié - une seule -
dans l'océan d'hostilité.
Accroché à une paille, le corps contrariait l'esprit
mais refusait de sombrer.
Certains n'étaient plus que des cabans
- pas des hommes, des ombres
indifférentes à tout sauf à la bouffe.
I can not afford to keep a conscience
(Je n'ai pas les moyens pour me payer une conscience)
C'est en effet le regard ambigu du narrateur et sa position, qui le situent à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du système, ainsi que sa volonté de donner la parole, indirectement - à travers les tatouages, les chansons, etc -, aux "voleurs dans la loi", qui permettent d'ouvrir un nouveau chapitre dans la réflexion sur la violence des camps et leur représentation, non plus "la culture au Goulag" mais "le Goulag comme culture", à savoir l'ensemble des processus par lesquels s'élaborent, au sein des camps, des valeurs, des codes, des représentations, des comportements, des traditions et des croyances, ainsi que les modalités de leur fixation et pérennisation.
Le travail de Viktor Kroutkine, l'un des tenants de l'anthropologie visuelle en Russie, pose ainsi que l'album de photographie peut y être considéré comme un genre narratif à part entière - de nature éminemment anthologique - qui offre la possibilité de tisser simultanément les fils de l'histoire nationale et d'une destinée familiale singulière.
Le monde du Goulag s'étend en effet à la totalité des territoires placés sous l'administration du NKVD: le camp est là où règne la loi du camp, et pas seulement là où sont les barbelés.
Afin de nous rendre aimables à tes yeux
Tu as brûlé dans nos âmes l'honneur et la fierté.
Pourtant, la nuit tu ne trouves pas le sommeil
Même sous la protection des miradors.
Eh bien, il n'y a pas de fumée sans feu:
Dans la taïga, tous n'ont pas péri ensevelis sous la neige !
Dommage seulement que je ne sois pas là
Quand ils viendront te sortir du lit !
[Extrait du poème: "Le Défi" de Anatoli Klechtchenko]