Bien des lieux communs circulent en France et à l'étranger sur les caractéristiques de la pensée française, sur son intellectualisme, son universalisme, son souci de l'individu et de ses droits. Certains peuvent être valables, mais on trouve en Allemagne aussi des rationalistes, en Angleterre aussi des défenseurs de la liberté individuelle. il faut donc être plus précis.
La décisive importance de la grande Révolution de 89 eut, sur le plan des idées, pour effet de privilégier l'une des deux tendances que manifeste l'esprit français, celle des Encyclopédistes, de la libre-pensée des droits de l'homme, de la Raison universelle, de faire oublier l'autre courant, non moins authentiquement français, du spiritualisme le plus souvent chrétien, dont les formes traditionnelles et sclérosées sont entrées en lutte avec le rationalisme de la Religion naturelle, mais dont les formes actives et vivantes cherchaient à dépasser cette antinomie. Mais ce n'est pas non plus dans la coexistence de ces deux courants que l'on peut chercher la détermination du quid proprium de la pensée française, car on les retrouverait tous les deux dans d'autres pays aussi.
(.) C'est dans le style imprimé à ces thèmes généraux que l'on retrouve dans les philosophies de tous les pays que l'on peut, peut-être saisir la marque de la France. LA pensée française est intellectualiste, mais elle veut que ce soit l'intelligence individuelle qui se charge du jugement critique, car elle refuse toute vérité imposée de l'extérieur, ou ne l'accepte qu'après comparution devant son propre tribunal. Elle est lucide, éprise d'idées claires et distinctes : la pensée allemande est lucide aussi, chez les philosophes dignes de ce nom, mais elle n'est pas le chantre de la lucidité. Aux obscures forces du subconscient ou de l'inconscient, l'esprit français préfère la pleine conscience de soi-même. Il croit en la possibilité, pour la conscience, de se saisir elle-même, et, en quelque sorte, de cueillir sur le fait de sa propre existence.L'autonomie de l'individu n'est qu'à lui ; il s'appréhende dans et par une expérience qu'il juge authentique, et, de ce fait, croit en lui, se donne une valeur.