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Citation de Partemps


Mes petites idées sur la couleur.

C’est le dessin qui donne la forme aux êtres ; c’est la couleur qui leur donne la vie. Voilà le souffle divin qui les anime.

Il n’y a que les maîtres dans l’art qui soient bons juges du dessin, tout le monde peut juger de la couleur.

On ne manque pas d’excellents dessinateurs ; il y a peu de grands coloristes. Il en est de même en littérature : cent froids logiciens pour un grand orateur ; dix grands orateurs pour un poëte sublime. Un grand intérêt fait éclore subitement un homme éloquent ; quoi qu’en dise Helvétius, on ne ferait pas dix bons vers, même sous peine de mort.

Mon ami, transportez-vous dans un atelier ; regardez travailler l’artiste. Si vous le voyez arranger bien symétriquement ses teintes et ses demi-teintes tout autour de sa palette, ou si un quart d’heure de travail n’a pas confondu tout cet ordre, prononcez hardiment que cet artiste est froid, et qu’il ne fera rien qui vaille. C’est le pendant d’un lourd et pesant érudit qui a besoin d’un passage, qui monte à son échelle, prend et ouvre son auteur, vient à son bureau, copie la ligne dont il a besoin, remonte à l’échelle, et remet le livre à sa place. Ce n’est pas là l’allure du génie.

Celui qui a le sentiment vif de la couleur, a les yeux attachés sur sa toile ; sa bouche est entr’ouverte ; il halète ; sa palette est l’image du chaos. C’est dans ce chaos qu’il trempe son pinceau ; et il en tire l’œuvre de la création, et les oiseaux et les nuances dont leur plumage est teint, et les fleurs et leur velouté, et les arbres et leurs différentes verdures, et l’azur du ciel, et la vapeur des eaux qui les ternit, et les animaux, et les longs poils, et les taches variées de leur peau, et le feu dont leurs yeux étincellent. Il se lève, il s’éloigne, il jette un coup d’œil sur son œuvre ; il se rassied ; et vous allez voir naître la chair, le drap, le velours, le damas, le taffetas, la mousseline, la toile, le gros linge, l’étoffe grossière ; vous verrez la poire jaune et mûre tomber de l’arbre, et le raisin vert attaché au cep.

Mais pourquoi y a-t-il si peu d’artistes qui sachent rendre la chose à laquelle tout le monde s’entend ? Pourquoi cette variété de coloristes, tandis que la couleur est une en nature ? La disposition de l’organe y fait sans doute. L’œil tendre et faible ne sera pas ami des couleurs vives et fortes. L’homme qui peint répugnera à introduire dans son tableau les effets qui le blessent dans la nature. Il n’aimera ni les rouges éclatants, ni les grands blancs. Semblable à la tapisserie dont il couvrira les murs de son appartement, sa toile sera coloriée d’un ton faible, doux et tendre ; et communément il vous restituera par l’harmonie ce qu’il vous refusera en vigueur. Mais pourquoi le caractère, l’humeur même de l’homme n’influeraient-ils pas sur son coloris ? Si sa pensée habituelle est triste, sombre et noire ; s’il fait toujours nuit dans sa tête mélancolique et dans son lugubre atelier ; s’il bannit le jour de sa chambre ; s’il cherche la solitude et les ténèbres, n’aurez-vous pas raison de vous attendre à une scène vigoureuse peut-être, mais obscure, terne et sombre ? S’il est ictérique, et qu’il voie tout jaune, comment s’empêchera-t-il de jeter sur sa composition le même voile jaune que son organe vicié jette sur les objets de nature, et qui le chagrine lorsqu’il vient à comparer l’arbre vert qu’il a dans son imagination avec l’arbre jaune qu’il a sous ses yeux ?

Soyez sûr qu’un peintre se montre dans son ouvrage autant et plus qu’un littérateur dans le sien. Il lui arrivera une fois de sortir de son caractère, de vaincre la disposition et la pente de son organe. C’est comme l’homme taciturne et muet qui élève une fois la voix : l’explosion faite, il retombe dans son état naturel, le silence. L’artiste triste, ou né avec un organe faible, produira une fois un tableau vigoureux de couleur ; mais il ne tardera pas à revenir à son coloris naturel.

Encore un coup, si l’organe est affecté, quelle que soit son affection, il répandra sur tous les corps, interposera entre eux et lui une vapeur qui flétrira la nature et son imitation.

L’artiste, qui prend de la couleur sur sa palette, ne sait pas toujours ce qu’elle produira sur son tableau. En effet, à quoi compare-t-il cette couleur, cette teinte sur sa palette ? À d’autres teintes isolées, à des couleurs primitives. Il fait mieux ; il la regarde où il l’a préparée, et il la transporte d’idée dans l’endroit où elle doit être appliquée. Mais combien de fois ne lui arrive-t-il pas de se tromper dans cette appréciation ! En passant de la palette sur la scène entière de la composition, la couleur est modifiée, affaiblie, rehaussée, et change totalement d’effet. Alors l’artiste tâtonne, manie, remanie, tourmente sa couleur. Dans ce travail, sa teinte devient un composé de diverses substances qui réagissent plus ou moins les unes sur les autres, et tôt ou tard se désaccordent.

En général donc, l’harmonie d’une composition sera d’autant plus durable que le peintre aura été plus sûr de l’effet de son pinceau ; aura touché plus fièrement, plus librement ; aura moins remanié, tourmenté sa couleur ; l’aura employée plus simple et plus franche.

On voit des tableaux modernes perdre leur accord en très-peu de temps ; on en voit d’anciens qui se sont conservés frais, harmonieux et vigoureux, malgré le laps du temps. Cet avantage me semble être plutôt la récompense du faire, que l’effet de la qualité des couleurs.

Rien, dans un tableau, n’appelle comme la couleur vraie ; elle parle à l’ignorant comme au savant. Un demi-connaisseur passera sans s’arrêter devant un chef-d’œuvre de dessin, d’expression, de composition ; l’œil n’a jamais négligé le coloriste.
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