Le trajet jusqu'à l'école lui prend vingt-cinq minutes. Les routes sont pittoresques, la circulation souvent fluide, ça ne lui déplait pas. Elle rêve, réfléchit. Le trajet lui sert de sas. Le mot venant à son esprit, elle le garde pour l'analyser. L'image qu'il fait surgir lui convient. Il lui faut des sas. La rêverie métaphorique l'entraîne vers les paliers de décompression qu'utilisent les plongeurs. Ma vie est là, se dit-elle, en surface, bien que j'aime ces plongées dans les abîmes. Elle entrevoit les élèves en groupes de petits poissons passant devant son masque de plongée - quelques requins, tout de même, pense-t-elle -, ce gros calamar de directeur, beaucoup d'enseignants éponges bien dociles, les méduses de la garde prétorienne... Et puis, en sortir, petit à petit, par palier, en respectant le timing. Bonne image, conclut-elle.
Louise Marin ne dort pas. (…) Elle s'assied dans un fauteuil du salon. Elle sait qu'elle ne dormira pas. Elle est emplie d'une tristesse qui la submerge, irrémédiable, effroyable par son ampleur, la tristesse que sa fille lui ait échappé, qu'elle vive ces quelques jours un moment important de son existence sur lequel elle, sa mère, n'a aucune prise. Louise Marin pleure. Nous ne pouvons rien pour elle.
Lucie écrit. Lucie publie. Moi, j'ai du mal avec les mots. Mes mains parlent, mon corps aussi m'a-t-elle dit, mais les adjectifs par exemple m'échappent : ils précisent, atténuent, nuancent... On dit de moi que je suis tout d'une masse. Lucie : « Tu es monolithique. »
La force du point, pense Marc Tienard levant les yeux de son cahier vers la photo encadrée posée sur la table. J'étais sur cette plage, non loin d'Alice lorsqu'elle a pris la photo, continua-t-il à écrire. Je devais ricaner doucement avec cette bouteille de mauvais alcool à la main. La force du point : finir la phrase, mettre un point, puis écrire « sobre ».
Elle disait la maison, pas ma maison. Cela l'avait souvent marquée, ces possessifs, une habitude d'homme, affirmait-elle : « Je vais dans mon atelier, je me retire dans ma bibliothèque... » On lui rétorquait que beaucoup de femmes disaient : « ma cuisine » ; je n'en suis pas si sure », renvoyait-elle systématiquement.
Encore une chose sur Lucie. Lucie est une voleuse. Lucie vole mes chemises. Elle m'en a déjà dérobé trois. Elle les passe le soir après sa douche ou son bain. Elle enfile un pantalon souple en coton, et au-dessus, une de mes chemises. Rien d'autre. Je la laisse faire.