AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cielvariable


Attendez : si on pouvait prendre à nouveau une décision, alors Lou n’aurait jamais demandé à ses parents – d’abord à sa mère – de la conduire en voiture depuis le village d’Hammersport où ils habitaient jusqu’au centre commercial d’Ontario Ridge, à vingt minutes de Rochester, en direction de l’est. Mais on ne pouvait pas revenir en arrière. Le temps ne poussait Lou que dans un sens. Revivre le passé, réparer ce qui est brisé, c’est comme reprendre sa place dans l’utérus : impossible.

Lou avait donc trouvé sa mère dans la cour en train de ramasser les feuilles mortes négligées jusque-là et de les entasser près de la piscine en vinyle couverte depuis septembre. Maman était en survêt et en chemise de flanelle, la bruine lui mouillait les épaules. Elle avait les cheveux perlés d’humidité et ses lèvres frémissaient de froid.

— Je ne peux pas t’emmener maintenant. Il faut que je finisse ça, dit Maman. Lou fronça le nez en levant les yeux vers les nuages noirs poussés par le vent.

— Il pleut.

— C’est pour ça qu’il faut que je finisse.

— Alors… plus tard ?

Les gouttes de pluie dégoulinaient sur les lunettes de Lou.

— J’en doute, dit Maman, comme si une telle décision ne relevait pas de son pouvoir. De toute façon, pourquoi as-tu besoin d’aller au centre commercial ?

Lou haussa les épaules et croisa les doigts sur le sommet de sa tête. Elle était près de la porte du sous-sol et de l’escalier en béton qui menait à l’allée du garage. La propriété des Moberg était en contrebas des cours voisines, et entourée, sur trois côtés, par des murs de pierre. Comme un site archéologique. De là où elle était, tout surplombait la cour : la maison, composée d’un sous-sol aménagé, rez-de-chaussée et grenier, les arbres qui perdaient en frissonnant leurs dernières feuilles, le bateau de Papa bâché pour l’hiver, et les allées des garages des voisins. À côté, à cet instant précis, Quinn Cutler était en train de travailler dans le garage de sa mère. Lou ne le voyait pas mais elle entendait le claquement et le grincement de ses outils pendant qu’il serrait les pièces de sa moto, comme dans un énorme poing de métal.

— Il y a un deuxième râteau ? demanda Lou. Je peux t’aider ?

— C’est bien la première fois ! s’esclaffa Maman.

Elle se courba pour dégager les feuilles mouillées coincées dans les dents du râteau. Il y avait des mois que Maman lançait des piques de ce genre, comme si elles avaient encore des comptes à régler pour une dispute que Lou avait oubliée.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}