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Citation de emdicanna


Le voyage à Deauville n'ayant lieu que les jours de grand beau temps, la mer m'est longtemps apparue comme l'élément le plus sage, le plus doucet, le plus anodin, le plus lénifiant du monde. Une sorte de hamac liquide tendu entre deux côtes.
C'était une mer à peu près sans bateaux, sinon les esquifs gonflables dont usaient les enfants et, quelquefois, le sillage tranquille d'un chalutier qui faisait route vers la criée de Trouville. Plus rarement, un transatlantique à coque noire et superstructures blanches quittant Le Havre, destination New-York.
J'ignorais à quoi la mer pouvait ressembler la nuit venue, ou lorsqu'il y avait brume ou tempête. Pour ça, je devais m'en rapporter à mes livres.
Je lisais déjà beaucoup, surtout des récits maritimes - Le Cargo du mystère, Le Bateau des hommes sans sommeil, Le Survivant du pacifique, Une ville flottante, Le Secret de la Mary Céleste. Pour la plupart livres sombres et hantés, exsudant de moites senteurs de calfat, de charbon mouillé, de rouille et de sang qui, loin de m'asphyxier, me dilataient les bronches et m'ouvraient les poumons. Je truffais mes premières rédactions de citations de Roger Vercel et d'Edouard Peisson, ce qui me valait, de la part de certains profs pour qui il n'y avait pas de salut en dehors de Rousseau, Voltaire et Chateaubriand, des appréciations du genre : "Pour dissimuler sa totale ignorance du programme de lecture, l'élève Decoin invente des auteurs qui n'existent pas".

Ma foi, la dernière phrase est peut-être un peu exagérée de la part de Didier Decoin, mais elle m'a rappelé une rédaction dans laquelle je parlais de "beurrées" que nous faisions griller devant le feu de cheminée, moi qui, arrivée depuis peu en France métropolitaine, découvrais des mots nouveaux. Hélas, celui-ci était sans doute trop "régional", car le professeur de français me le ratura sauvagement. Cela fait partie des choses qui peuvent frapper un enfant au point qu'il ne l'oublie jamais. Et, bien longtemps après, j'ai trouvé une espèce de revanche en lisant une phrase d'Enric Gomà, dans son livre "El català tranquil", où il parle de certains philologues catalans : "Pour eux "personne ne connaît jamais la langue aussi bien qu'il le faudrait, suivant une croyance très partagée (et très fausse). Ce qui place la langue au même rang qu'une religion ancestrale : les initiés suivent un chemin ascendant, escarpé et sinueux, qui culmine vers des connaissances secrètes et des rituels occultes, à l'image des adorateurs de Mitra dans la Barcelone du IIIe siècle."
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