AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de emdicanna


je n'ai jamais vu la mer Rouge, mais je sais bien qu'elle n'est pas rouge. Pas plus, d'ailleurs, que la mer Noire n'est noire. La mer n'est rouge, vraiment rouge, qu'à Ecalgrain à une certaine heure, brièvement, quand le soleil couchant, comme un tube de peinture que l'artiste écrase, dégorge brusquement une coulée de sa pâte brillante et fluide, d'un incarnat si ardent, si dévorant que les plus vives couleurs de la palette semblent tout à coup d'une tristesse de suie.
La "rougie" de la mer se propage d'ouest en est, courant comme un incendie. Portée par les vagues, elle atteint le rivage, submerge l'ourlet de la plage, s'étale sur les galets en lave incandescente, embrase les lacets de la route, escalade les falaises où elle empourpre les bruyères, l'ocre brune des fougères, le nankin des ajoncs. Le rouge investit tout, faisant du moindre gravier un rubis, transformant les bouquets d'ombelles en forêt de petits érables qui flambent dans la gloire fugitive de quelques minutes d'été indien à l'échelle d'un talus ou d'un fossé. J'ai même cru voir, perché sur un rocher où il faisait sécher ses ailes, un cormoran virer du noir à l'écarlate.
Ce soir-là, mon premier soir de Hague avec Chantal, la "rougie" ne fulgura qu'une poignée de secondes : libérée par la tempête en fuite dont la violence continuait à rôder quelque part sur la mer, une brusque déchaînée de vent étouffa les derniers brasillements du soleil sous des nuées basses, épaisses, écumantes, qui dévalaient du ciel en roulant sur elles-mêmes comme une avalanche de neiges violacées.
Puis les nuages se regroupèrent, se soudant les uns aux autres à la façon des pièces d'un puzzle. Il n'y eut bientôt plus qu'une sorte de maussaderie, de couche uniforme de grisaille d'où se mit à tomber une pluie fine.
Le phare de la pointe Quesnard, au nord d'Aurigny, s'alluma.
Des moutons à tête noire s'étaient évadés de leur pâture pour descendre dans le fond d'un ravin, attirés par l'herbe grasse qu'y entretenait une source. Une paysanne et son fils s'efforçaient de les ramener sur la colline en les houspillant dans une langue courte et rauque, fustigeant d'un jonc leurs fesses laineuses, bourdonnantes de mouches.
Commenter  J’apprécie          40





Ont apprécié cette citation (4)voir plus




{* *}