Dino Buzzati

Une radio australienne a expliqué a que le Père Noël, ou Santa Claus comme les Anglo-Saxons l'appellent, n'existe pas, qu'il s'agit d'une invention innocente et que ce sont les parents qui achètent les cadeaux en cachette aux enfants. Les enfants se sont mis à pleurer, leurs pères et mères se sont indignés, bref, cela a été un drame.
Mais pourquoi tant de cachotteries ? La radio australienne a bien fait ! Nous ne sommes plus au Moyen Âge. Il est temps d'en finir avec toutes ces fariboles de Père Noël, d'Enfant Jésus, de Santa Claus, tout justes bonnes à semer la confusion dans la tête des enfants. Assez de superstitions, de légendes, de mythes et autres vieilles croyances. Faites grandir les enfants dans une atmosphère claire, réelle, aseptisée, transparente. Apprenez-leur à appeler un chat un chat. Jetez au feu tous les livres de contes dont les sorcières, les ogres, les loups, les Barbe-Bleue les terrorisaient, laissant dans leurs esprits tendres et innocents des ombres sinistres qu'une vie entière ne suffisait pas à effacer. Et gardez-vous bien de leur raconter des histoires d'esprits, de fantômes, d'apparitions : cela pourrait les choquer et avoir des répercussions incalculables au plus profond de leur psyché. Qu'ils apprennent à croire en ce qu'ils peuvent voir, ce qui peut être concrètement démontré, qui appartient au domaine de la science - et c'est tout. Les elfes et les gnomes ont-ils déjà été photographiés ? Existe-t-il des disques où sont enregistrés en italien des discours de grillons, renards, serpents ou autres bestioles ? Et alors, pourquoi s'entêter avec ces bêtises ?
Mais oui, suivons les conseils de la pédagogie moderne, faisons de nos enfants des jeunes avec la tête sur les épaules, sans illusions ridicules, sans peur de l'obscurité : sans risque de contamination, rationnels, aseptiques, vitaminiques, imperméables aux angoisses de la nuit.
("Grand ménage de Noël", p.78-79)