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Citation de Partemps


Chapitre I

Moi, Dionysios, pope retiré dans la chapelle de Saint-Lypios, désireux de décrire ce que j’ai vu, je déclare :
Que je revenais du monastère de Saint-Dionysios, où je m’étais rendu pour m’entretenir avec un moine de certaines affaires spirituelles,
et c’était l’été, à l’heure où les eaux s’assombrissent, et j’étais arrivé aux Trois-Puits, et la terre alentour était toute gorgée d’eau car c’est là que les femmes vont puiser.
J’ai fait halte devant l’un des trois puits et, posant mes mains sur la margelle, je me suis penché pour voir s’il y avait beaucoup d’eau ;
et j’ai vu que le puits était plein jusqu’à moitié et j’ai dit : « Dieu soit loué » ;
« douce est la rosée qu’il envoie en été pour désaltérer les entrailles de l’homme, grandes sont Ses Œuvres, et grande l’ingratitude humaine ».
« Et les justes, selon la Sainte Écriture, combien sont-ils ? » Et j’en étais là de mes réflexions lorsque mon regard s’est attardé sur mes mains posées sur la margelle.
Et voulant compter les justes sur mes doigts, j’ai retiré ma main gauche de la margelle et, contemplant les doigts de ma main droite, j’ai dit : « N’y en a-t-il pas de trop ? »
Et j’ai entrepris de comparer le nombre des justes que je connaissais avec ces cinq doigts, et considérant que ceux-là étaient en surnombre, j’ai escamoté le petit doigt en le dissimulant entre la margelle et ma paume.
Et je suis resté longtemps à contempler les quatre autres doigts, et mon trouble était grand car je me suis vu contraint d’en rabattre encore et, à côté du petit doigt, j’ai donc aussi replié l’annulaire.
Si bien que je n’avais plus sous les yeux que trois doigts, avec lesquels j’ai martelé la margelle, anxieux d’aider mon esprit à trouver au moins trois justes.
Or m’étant mis à trembler, en mon for intérieur, comme la mer qui ne se tient jamais en repos,
j’ai relevé ces trois doigts qui n’en pouvaient mais et j’ai fait le signe de croix.
Puis, voulant compter les injustes, j’ai fourré une main dans la poche de ma soutane et l’autre sous ma ceinture, car j’ai compris, hélas, que les doigts ne me seraient d’aucune utilité.
Et mon esprit a été pris de vertige devant leur grand nombre, même si je me consolais à l’idée que chacun avait quelque chose de bon en lui.
Et c’est alors que m’est venue à l’esprit, les devançant tous, la femme de Zante, qui s’évertue à nuire à autrui en paroles et en actes.
Et, cherchant à voir si, dans cette âme où bouillonnait toute la mauvaiseté de Satan, le désir d’un bien, aussi minime fût-il, s’était jamais manifesté,
J’ai, après avoir longuement réfléchi, levé la tête et les mains vers le ciel et je me suis écrié : « Mon Dieu, mais cela revient à chercher une fleur de sel dans de l’eau bouillante ».
Et j’ai vu au-dessus de moi briller toutes les étoiles, et j’ai reconnu la constellation d’Orion en soc de charrue, ce qui m’a mis en liesse.
Et je me suis empressé de reprendre la route vers la chapelle de Saint-Lypios, car je me suis rendu compte que je m’étais attardé, et j’avais hâte d’être sur place pour décrire la femme de Zante.
Et voici qu’une douzaine de chiens galeux ont voulu me barrer le passage.
Et comme je ne voulais pas les écarter à coups de pied pour n’avoir pas à toucher leurs plaies galeuses et sanguinolentes, ils ont cru que j’avais peur d’eux.
Et ils ont commencé à faire cercle autour de moi en aboyant ; mais j’ai fait mine de me baisser pour ramasser une pierre,
et les pauvres bêtes se sont toutes dispersées en se mordant l’une l’autre pour se passer leur rage.
Mais voici que le maître de quelques-uns de ces chiens galeux s’est, à son tour, emparé d’une pierre,
Et me visant à la tête, moi, Dionysios le moine, l’impie a manqué sa cible ; car, dans sa précipitation à lancer sa pierre, il a fait un faux-pas et il est tombé.
C’est ainsi que j’ai regagné ma cellule de Saint-Lypios, escorté par les parfums de la campagne, par l’écoulis des eaux et par la vision du ciel étoilé au-dessus de ma tête, une résurrection.
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