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Citation de MegGomar


J’ai grandi dans une maison peule, semblable à toutes les autres
concessions aisées de Maroua, au nord du Cameroun. Mon père,
Alhadji Boubakari, fait partie de la génération des peuls sédentarisés
qui ont quitté leur village natal et se sont installés en ville,
diversifiant ainsi leur activité. C’est aujourd’hui un homme
d’affaires comme le sont ses frères. Cependant, il a conservé à
Danki, son village d’origine, un cheptel de bœufs qu’il a confiés à
des bergers encore attachés à la tradition de la transhumance. Car le
bœuf fait le peul. Et ma famille ne déroge pas à la règle.
Mon père est un bel homme, la soixantaine alerte. Digne en
toutes circonstances, toujours impeccablement vêtu, il porte une
gandoura amidonnée et un bonnet assorti.
La coutume impose la retenue dans les relations entre parents et
enfants au point qu’il est impossible de manifester une émotion, des
sentiments. C’est ce qui explique qu’il n’est pas particulièrement
proche de nous. La seule preuve que j’aie de son amour paternel est
celle d’exister. Je ne sais pas si mon père m’a déjà portée dans ses
bras, tenue par la main. Il a toujours gardé une distance
infranchissable avec ses filles. Et il ne m’est jamais venu à l’esprit
de m’en plaindre. C’était ainsi, et ça ne peut être autrement. Seuls
les garçons pouvaient voir mon père plus souvent, entrer dans son
appartement, manger avec lui et même, parfois, l’accompagner au
marché ou à la mosquée. En revanche, ils ne pouvaient pas
s’attarder à l’intérieur de la concession, qui restait le domaine des
femmes. La société musulmane définit la place accordée à chacun.
Nous sommes une famille nombreuse. Mon père la tient d’une
main de fer. Quatre épouses lui ont donné une trentaine d’enfants
dont les aînés, en majorité des filles, sont mariés. Baaba ne
supportant pas les conflits, chacune de ses épouses se garde bien de
lui rapporter les petits incidents ou disputes qui ne peuvent manquer
de troubler un foyer polygamique. Aussi notre grande famille
évolue-t-elle dans une atmosphère apparemment harmonieuse et
sereine.
Nous habitons dans ce que nous appelons au Cameroun
septentrional une concession. Entourée d’une enceinte de très hauts
murs, qui empêchent de voir à l’intérieur, elle abrite le domaine de
mon père. Les visiteurs n’y pénètrent pas ; ils sont reçus à l’entrée
dans un vestibule que, dans la tradition de l’hospitalité peule, nous
nommons le zawleru. Derrière s’ouvre un espace immense dans
lequel se dressent plusieurs bâtiments : d’abord l’imposante villa de
mon père, l’homme de la famille, puis le hangar, une sorte de
portique sous lequel on reçoit les invités, enfin les habitations des
épouses où les hommes ne pénètrent pas. Pour parler à son mari, une
épouse ne peut passer que par la coépouse dont c’est le tour.
Mes cinq oncles habitent dans le même quartier. Aussi, nous
n’avons pas une mais six concessions. Et, si nous ajoutons à la
trentaine d’enfants de mon père ceux de toute la famille réunie, nous
sommes facilement plus de quatre-vingt enfants. Nous, les filles,
vivons avec nos mères respectives pendant que nos frères ont leurs
propres chambres à l’extérieur des appartements maternels dès la
préadolescence. Et, bien sûr, filles et garçons ne font que se croiser,
s’adressant à peine la parole.
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