- Jacques ! le coupa Guillem, qui était le maître d'apprentissage des deux belligérants.
Jacques tentait de se débattre pour échapper à l'emprise de l'homme, mais Guillem ne lâcha pas la tunique du jeune agresseur et serra encore plus fort, à tel point qu'il l'étranglait presque. Il le tira à nouveau d'un coup sec, ce qui eut pour effet de déséquilibrer l'adolescent, qui se retrouva face à terre. L'homme lui mit un genou sur le dos pour l'empêcher de se débattre. Pendant un court instant, ils demeurèrent tous les deux immobiles.
- Calme-toi, Jacques. Ne m'oblige pas à te faire du mal. Qu'est-ce qui te prend, tu as perdu la raison ?
- Arrêtez ! Poussez-vous ! Laissez-moi passer ! hurla Guillem, en bousculant des coudes les spectateurs excités par un tel spectacle.
Le plus grand des deux garçons avait bloqué l'autre, plus petit, contre un mur, et le frappait. Tous deux saignaient du nez, et des éclaboussures de sang maculaient le sol. Guillem se saisit du col de la tunique du plus costaud et le tira avec force pour lui faire lâcher l'autre et l'éloigner de lui.
Le visage rougi du garçon était défiguré par la colère, couvert de sueur et de sang. Un léger filet de bave coulait de sa bouche.
L'homme, surpris par les propos de l'enfant, lâcha son ciseau de taille qui tomba à ses pieds, dans une fumée de poussière blanche.
Guillem se précipita dans la rue de la Poterie, en évitant les chiens, les porcs et les poules qui commençaient le nettoyage matinal de la rue. Il suivait le jeune Pierre qui courait en direction du brouhaha.
Une foule d'une trentaine de personnes s'était rassemblée autour de deux adolescents d'environ quatorze ans. Les badauds criaient et pariaient des coups à boire sur le vainqueur du combat qui se déroulait sous leurs yeux.
Alors que le soleil se levait, en ce beau mois de juillet 1234, et que la cloche tintait, appelant les artisans au travail, Guillem entendit des cris dans la rue de la Poterie. Quelques secondes plus tard, le jeune Pierre arriva en courant sur le chantier, slalomant entre les gravats et les blocs de pierres taillés, en s'écriant :
- Venez vite, Maître ! Ils vont se tuer... vous devez les arrêter !
- Que vous arrive-t-il ? N'avez-vous pas honte de vous battre, tels des chiens ? Et de vous donner en spectacle de la sorte ?
- Ce n'est pas moi qui ai commencé, c'est lui, il parle trop. Seul Dieu voit et juge ! Lâchez-moi, je vais le tuer... Il manque de respect envers l'Église... il ne sait rien de la vérité... il ne sait rien !