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Citation de enkidu_


La mort de Paul, moi, m’intriguait au plus haut point. Pourquoi n’avait-elle jamais intéressé les peintres ? Pourquoi la légende ne s’était-elle pas emparée de son martyre ? Il fut décapité, à ce qu’il semble, la même année que Pierre, en même temps que lui, dans la fournée des victimes envoyées au supplice par Néron. Mais autant les tortures infligées à l’un ont enflammé l’imagination populaire, autant le calvaire de l’autre ne soulève ni curiosité ni pitié.

Tous les premiers saints ont laissé un souvenir glorieux de leur mort. La lapidation d’Etienne, l’énucléation de Lucie, la décollation de Jean Baptiste, l’écorchement de Bartholomé remplissent des milliers de fresques et de tableaux. À tous le supplice fut donné comme une apothéose. Les flammes et le glaive à Janvier, ton patron, le gril à Laurent, les lions à Blandine, les flèches à Ursule et à Sébastien. À tous sauf au missionnaire de Tarse. Je ne comprenais pas cette exception. Il me semblait que son histoire n’était pas finie, qu’il manquait une pièce. Après tant d’outrages et de mortifications, il aurait eu droit plus que quiconque à une fin spectaculaire. On ne se rappelait de sa vie que les extases, les miracles, les prêches, les victoires : mais l’échec final, l’agonie, la dérision et l’humiliation du billot ? Son scandaleux passage sur la terre méritait de laisser un autre souvenir que l’image d’un visionnaire et d’un exalté. Ni goutte de sang ni trace de cadavre. Le Seigneur l’avait rappelé tout doucement au ciel, sans lui permettre de frapper le monde par une note éclatante d’infamie.

Je sentais là une véritable injustice : peu à peu, j’en vins à me dire que c’était mon devoir de la réparer. L’histoire demeurée en suspens de Paul, à moi d’y apporter le complément nécessaire. La mort ignominieuse dont Dieu l’avait spolié, je la subirais à sa place. Je ne savais pas quand ni comment. Longtemps les seuls dangers que je courus furent les citations en justice, les saisies de mes livres et de mes films. Du jour où je ne me suffis plus de ces tracasseries, où j’ai commencé à risquer non plus mon travail mais ma peau, de ce jour date ce que j’appelle la victoire de Paul. Il pouvait compter sur moi : j’étais prêt à endurer des sévices inouïs pour redorer son auréole. Je rêvais que des bourreaux hilares m’assassinaient au bord d’une route et profanaient ma dépouille avant de l’abandonner dans la poussière du talus.
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