L'imagination, nous l'avons dit, est le seul organe de perception du beau; après avoir été frappée par lui, elle exerce a son tour, une action sur le sentiment, et cela dans tous les arts. Un grand tableau d'histoire ne nous émeut-il pas aussi puissamment qu'un événement? les madones de Raphaël ne nous disposent-elles pas à la piété ? les paysages de Poussin ne nous font-ils pas soupirer après la campagne? l'aspect de la cathédrale de Strasbourg reste-t-il sans effet sur notre âme ? La réponse ne saurait être douteuse. Il en est de même en poésie et aussi dans d'autres formes de l'activité intellectuelle qui ne sont point du domaine de l'esthétique, telles que l'éloquence, l'édification d un auditoire par le prédicateur, etc.
Ce qu'on a dit jusqu'ici de l'esthétique musicale est presque entièrement basé sur une fausse donnée : à savoir, que cette science doit s'occuper moins d'approfondir ce qui est beau dans la musique en elle-même, que de dépeindre les sentiments que la musique éveille en nous. Cette direction donnée à l'étude correspond parfaitement au point de vue des anciens systèmes esthétiques, qui ne considéraient le beau que dans son rapport avec l'effet produit sur nous par ses manifestations, et avaient, en conséquence, dénommé la philosophie du beau d'après l'origine qu'ils lui attribuaient, c'est-à-dire le sentiment.
La musique, nous dit-on, ne pouvant intéresser l'intelligence par des idées, comme la poésie, ni l'œil par des formes visibles, comme les arts du dessin, a donc pour destination d'agir sur les sentiments des hommes. « La musique n'a affaire qu'au sentiment », affirment les traités d'esthétique. En quoi consiste la corrélation de la musique avec le sentiment, de certaines œuvres musicales avec certains sentiments, quelles lois de la nature la régissent , d'après quelles lois de l'art il faut lui donner une forme, voilà ce qu'ont laissé complètement dans l'ombre ceux qui « ont eu affaire » à la question.