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Citation de Olaf


Olaf
25 décembre 2016
- Jack, mon vieux, ne passons pas tout l'après-midi à plaisanter. On a trop de choses importantes à se dire. Et je veux t’entendre chanter – tes nouvelles chansons, les anciennes et des reprises. Alors s’il te plaît, comprends-moi : je ne partirai pas avec toi. Je reste en prison, dans celle-ci et dans la suivante, jusqu’à ce que les autorités en aient ras le bol de me voir, ce qui à mon avis se produira d’ici à peine deux ans – ils m’accorderont peut-être une liberté conditionnelle. Et quand je serai à nouveau libre, on se retrouvera, toi, moi, Jerry et Seth. Et ton épouse. Tu en auras forcément une, d’ici là. Et on fera ce petit voyage pour chasser et pêcher ensemble. Où tu voudras : au Canada, dans les Rocheuses, à Sonora, en Baja California. On passera un mois ou plus dans la nature, on rira, on chantera et on oubliera à jamais ce cauchemar ridicule.
Bondi s’immobilisa alors, et l’autre s’arrêta avec lui. Bondi contempla la vue au-delà des barreaux, derrière la fenêtre crasseuse.
- Car bien-sûr, c’est un cauchemar. J’en déteste chaque minute. J’en suis profondément malade – mais je ne peux pas fuir. J’ai trop d’engagements à tenir, trop de faiblesses, trop d’idées optimistes. (Il fit une pause. Burns garda le silence.) Optimistes ? continua-t-il. Non pas vraiment. Je n’imagine pas le monde s’améliorer. Comme toi, je le vois plutôt empirer. Je vois la liberté qu’on étrangle comme un chien, partout où mon regard se pose. Je vois mon propre pays crouler sous la laideur, la médiocrité, la surpopulation, je vois la terre étouffée sous le tarmac des aéroports et le bitume des autoroutes géantes, les richesses naturelles vieilles de milliers d’années soufflées par les bombes atomiques, les autos en acier, les écrans de télévision et les stylos-billes. C’est un spectacle bien triste. Je ne peux pas t’en vouloir de refuser d’y prendre part. Mais je ne suis pas encore prêt à battre en retraite, malgré l’horreur de la situation. Si tant est qu’une retraite soit possible, ce dont je doute.
- Mais si c’est possible, rétorqua Burns. C’est possible. Je connais des endroits ici même, dans l’Ouest américain, où l’homme blanc n’a encore jamais mis les pieds.
Bondi sourit.
- Les toilettes pour femmes, tu veux dire ?
- Non, dit Burns. Je suis allé dans toutes les toilettes pour femmes. Je pense plutôt à quelques canyons de l’Utah, à quelques lacs de montagne dans l’Idaho ou le Wyoming.
- Peut-être, peut-être. Mais je ne suis pas encore prêt. C’est plus pratique de rester ici un moment, d’essayer de gagner ma vie honnêtement à introduire un peu de philosophie dans le cerveau des futurs ingénieurs, des futurs pharmaciens et politiciens. Ne va pas croire un seul instant que je me prenne pour une sorte de héros anarchiste. Je ne compte pas lutter contre l’Autorité, du moins pas ouvertement. J’ouvre peut-être quelques brèches clandestines. Quand ils nous demanderont de répéter « Je me rétracte », je marmonnerai juste quelque chose dans ma barbe. Quand ils nous demanderont de nous mettre au garde-à-vous et de saluer, je croiserai les doigts de la main gauche. Quand ils installeront des micros – au fait, c’est vrai que le slogan de ce vieux Hoover, c’est « Deux micros dans chaque maison ? » - et des mouchards, et la télévision émettrice-réceptrice, je mettrai des fusibles défectueux dans le central téléphonique. Quand ils me demanderont si je suis ou si j’ai été un Incorruptible, je leur répondrai que je ne suis qu’un bon vieil anarchiste jeffersonien sans reproche. Comme ça, je devrais me la couler douce pendant une décennie, peut-être assez pour prendre ma retraite avec un demi-salaire, recreuser le vieux fossé d’irrigation, faire pousser des concombres et du maïs. Ça te semble raisonnable ?
- Ça me semble plutôt facile, dit Burns en souriant. Sauf qu’à mon avis, tu n’en crois pas un seul mot.
Bondi soupira, se gratta le nez et soupira encore.
- Peu importe, alors. Appelons ça une hypothèse de travail.
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