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Citation de enkidu_


Karl Marx définit la notion de système économique asiatique dans son analyse, écrite en 1853, de la domination britannique en Inde, puis il place, juste à côté d'elle, la déprédation humaine introduite dans ce système par l'interférence coloniale de l'Angleterre, sa rapacité, sa farouche cruauté. Article après article, il revient avec plus de conviction sur l'idée que, même en détruisant l'Asie, l'Angleterre y rend possible une véritable révolution sociale. Le style de Marx nous oblige à affronter cette difficulté : concilier la répugnance que nous inspirent les souffrances subies par nos frères orientaux tandis que leur société est transformée par la violence, avec la nécessité historique de ces transformations.

''Or, aussi triste qu'il soit du point de vue des sentiments humains de voir ces myriades d'organisations sociales patriarcales, inoffensives et laborieuses se dissoudre, se désagréger en éléments constitutifs et être réduites à la détresse, et leurs membres perdre en même temps leur ancienne forme de civilisation et leurs moyens de subsistance traditionnels, nous ne devons pas oublier que ces communautés villageoises idylliques, malgré leur aspect inoffensif, ont toujours été une fondation solide du despotisme oriental, qu'elles enfermaient la raison humaine dans un cadre extrême- ment étroit, en en faisant un instrument docile de la superstition et l'esclave de règles admises, en la dépouillant de toute grandeur et de toute force historique. [...] Il est vrai que l'Angleterre, en provoquant une révolution sociale en Hindoustan, était guidée par les intérêts les plus abjects et agissait d'une façon stupide pour atteindre ses buts. Mais la question n'est pas là. Il s'agit de savoir si l'humanité peut accomplir sa destinée sans une révolution fondamentale dans l'état social de l'Asie. Sinon, quels que fussent les crimes de l'Angleterre, elle fut un instrument inconscient de l'histoire en provoquant cette révolution. Dans ce cas, quelque tristesse que nous puissions ressentir au spectacle de l'effondrement d'un monde ancien, nous avons le droit de nous exclamer avec Goethe :

Sollte diëse Quai uns quälen
Da sie unsere Lust vermehrt,
Hat nicht Myriaden Seelen
Timur's Herrschaft aufgezehrt ?

Cette peine doit-elle nous tourmenter
Puisqu'elle augmente notre joie,
Le joug de Timour n'a-t-il pas écrasé
Les myriades de vies humaines ?''

La citation qui appuie l'argument de Marx sur le tourment donnant du plaisir est tirée du Divan occidental-oriental, et nous apprend quelle est la source des idées de Marx sur l'Orient. Elles sont romantiques et même messianiques : l'Orient est moins important comme matériau humain que comme élément d'un projet romantique de rédemption. Les analyses économiques de Marx rentrent parfaitement dans une entreprise orientaliste type, même si ses sentiments d'humanité, sa sympathie pour la misère du peuple sont clairement engagés. Mais, en fin de compte, c'est le point de vue orientaliste et romantique qui l'emporte, tandis que les vues théoriques socioéconomiques de Marx sont submergées dans cette image classique :

L'Angleterre a une double mission à remplir en Inde : l'une destructrice, l'autre régénératrice — l'annihilation de la vieille société asiatique et la pose des fondations matérielles de la société occidentale en Asie. (pp. 178-179)
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