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Citation de PatriceG


Avant d'entrer à la fac, j'ignorais ce qu'était un e-mail. J'avais déjà entendu ce mot et, sans trop comprendre, je savais que j'en "aurais" un. "Tu vas être à la pointe, avec tes zii-mails", m'avait dit la soeur de ma mère, mariée à un ingénieur informaticien. Elle insistait toujours sur le "e" de "e-mail".

Cet été-là, j'entendais parler d'e-mails de plus en plus souvent. "Tout change si vite, estimait mon père. Aujourd'hui au boulot, j'ai surfé sur le web. J'étais au Metropolitan Museum of art de New York, puis la seconde d'après, à Anitkabir." Anitkabir, le mausolée d'Atatürk, se trouvait à Ankara. Je n'avais pas la moindre idée de ce que mon père racontait : ça n'avait aucun sens , il n'avait pas "été" à Ankara ce jour-là ; je n'ai donc pas accordé davantage d'attention à ses propos.

Mon premier jour à l'université, j'ai fait la queue devant une table pliante pour finalement obtenir une adresse e-mail et un mot de passe temporaire. Dans cette adresse, il y avait mon nom de famille, Karadag, tout en minuscules et sans le g bref muet, propre au turc. Toute petite, j'avais compris que c'était bizarre, un g qui ne se prononce pas. "Le g ne se prononce pas ", précisais-je, avec une lassitude qui ne manquait jamais de faire rire. Je ne comprenais pas en quoi l'adresse e-mail était une adresse, ni même un raccourci...


"Je n'ai donc pas accordé davantage d'attention à ses propos". Nous voilà embarqués dans "L'Idiote", roman autobiographique de 525 pages paru aux Editions de l'Olivier en mai 2021 dans sa traduction française. Monument littéraire d'une jeune turque exilée aux Etats-Unis qui va devenir professeur d'université. Immanquablement, cette fille de culture profondément attachée à son pays la Turquie, mais pas seulement, la Russie aussi, la Hongrie va rebondir positivement dans ce pays d'accueil où la diaspora s'organise pour en fait espérer vivre dans cette Amérique si différente à ses yeux. Plutôt que l'abattement, les états d'âme, truculence et sensibilité occupent ce roman, les situations d'une drôlerie infinie émaillent ce pavé qui a failli décrocher le Pulitzer 2018. On nous annonce une suite à ce fabuleux texte, c'est avec la plus grande ferveur que j'accueille cette intention ; bien sûr que mon expectative jouera encore comme elle l'a fait pour la suite après les Possédés de 2015. Comme on dit au point de me lasser de cette expression : L'Idiote tient toutes ses promesses dans mon esprit. J'y retrouve ici totalement cette tonalité intelligente, féminine, altière où les références culturelles s'empilent comme de l'or dans la tête de cette jeune dame ; la plume est alerte, délicate. Et la chance qui nous est donnée à la lecture de ce livre est cette empathie pour la jeune auteur qui se retrouve aisément dans les fossés existants entre la culture littéraire et notre monde bruyant de plus en plus insupportable, sauf peut-être que pour Elif Batuman la culture littéraire, artistique apparaît comme un salut au détriment de tout le reste qui n'est pas ici d'être née sur place où elle devra pas à pas faire précisément sa place ..

Comme l'indique la 4eme de couverture : "Au terme de ce magnifique roman d'apprentissage plein d'humour et d'autodérision, une jeune femme trouve sa voix dans l'écriture, unique manière raisonnable, selon l'auteur, de supporter le monde réel". Qu'ai-je à ajouter à cela, peut-être son talent d'artiste immense qui investit entre deux eaux d'une puissance torrentielle un monde qui ne lui était pas acquis.

Si le troisième ouvrage qui se profile sera du même tonneau, alors je peux dire dès à présent qu'il faudra compter avec Elif Batuman pour être la grande ambassadrice de la culture exilée contemporaine à travers le monde et un écrivain de premier plan. Mais je suis prêt à parier que mon voeu sera exaucé !
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