Citations de Elma Vangard (58)
J’ai l’impression d’avoir des ailes, d’être en apesanteur, un peu comme si j’étais sortie de mon corps. Je vis.
Il est un peu l’idéal masculin que j’ai toujours imaginé.
À vingt-huit ans, j’étais qualifiée de vieille fille, aujourd’hui, ils doivent me voir comme une personne du troisième âge qui finira sa vie seule et dévorée par des chats.
Je n’ai jamais été tentée de tromper Bradley, je n’ai jamais éprouvé un quelconque désir pour qui ce soit, même mon mari c’est pour dire… Depuis qu’Alexander est entré dans nos vies — dans ma vie - j’ouvre les yeux pour la première fois. Je suis en train de renaître et j’ai peur.
— Qu’est-ce qui t’en empêche ?
Sa voix profonde me noue le ventre.
— Je suis mariée, je suis maman, je…
— Tu es une femme.
Femme.
— Tu es une personne, avec des envies, des rêves et des désirs, poursuit-il.
Je me considère plutôt chanceuse d’avoir une aussi belle maison et d’aussi beaux enfants, mais ils deviennent grands, et bientôt, je serai le fantôme de la demeure, à errer de pièce en pièce pour faire le ménage sans jamais personne pour me parler. Je suis une maman, et j’aime ça, mais pour ce qui est de Brad… C’est toujours la même chanson, mes sentiments ne changent pas, les siens non plus. Je fais partie des meubles, et il fait partie de mon quotidien même si souvent je m’en passerai bien. Il n’est pas méchant, c’est certain, mais son manque d’intérêt est blessant. Aussi blessant que deux balles dans le dos, ça me tue à petit feu
Je fais semblant de lire, alors qu’en réalité, je n’y comprends plus rien. La dernière phrase d’Alexander ne cesse de me passer en mémoire et je tente tant bien que mal d’en deviner la fin. Qu’est-ce qu’elles ont mes jambes ? Ouais, j’ai la peau sèche, de la cellulite et des vergetures. Je doute qu’il ait vu aussi haut. La plupart de mes robes s’arrêtent légèrement au-dessus des genoux. D’ailleurs, j’ai les genoux carrés, enfin, j’en ai bien l’impression. Je suis un peu comme un cube, rondouillarde des épaules, du ventre et des cuissots… Mais bon, on me pardonnera, j’ai quand même fait grandir en moi trois enfants de plus de trois-kilos-huit chacun. Je suis une femme pudique. On ne m’a jamais appris à m’aimer, et personne ne m’a montré que je pouvais être aimée.
J’ai un sentiment de liberté qui m’envahit quand on quitte la maison, que je n’ai pas chez moi. M’accorder quelques longues minutes pour lire est déjà très bien, il ne faudrait pas pousser mémé dans les orties non plus.
Je tombe amoureuse comme je ne l’ai jamais été en réalité, je me mets à rêver à une vie qui n’est pas la mienne. Je dévore, j’absorbe et quand une ombre me surplombe, je relève les yeux et mon estomac se pince en découvrant Alexander planté face à moi. Il a quitté sa paire de lunettes, l’eau qui dégouline le long de son corps finit sa course sur mes jambes.
J’ai passé le reste de la soirée à essuyer les yeux de ma fille en lui assurant qu’un jour, elle rencontrera quelqu’un qui fera battre son cœur encore plus fort que tout ce qu’elle a connu. Je lui promets ces choses que moi-même je n’ai pas expérimenté. Je lui parle de sentiments dont je ne connais rien, de sentiments décrits dans des livres. Quand elle me pose des questions sur l’amour, je tente de me souvenir tous ces films que j’ai vu, tous ces bouquins avalés et je lui refais le même topo : un jour, quelqu’un t’aimera autant que tu l’aimeras. Je m’en rends mélancolique. Jamais je ne connaitrai tout ça, j’ai tiré un trait sur tous ces sentiments le jour où j’ai posé les yeux sur mon mari.
Je tente de les laisser vivre leur vie comme ils l’entendent, mais souvent, je renvoie les plus jeunes chez leurs parents pour le dîner. Julie a pleuré toute la soirée du bal de promo parce que Kevin a embrassé une autre fille, et mon cœur s’est brisé avec le sien.
La façon dont mon prénom roule sur sa langue m’hypnotise. C’est sensuel, presque suave. Je ne peux définitivement pas fermer les yeux sur les frissons qui me longent l’échine et me paralysent. C’est dingue ce qu’un peu d’attention peut nous faire ressentir.
Materner. Je n’ai jamais posé de mots sur ce que j’étais pour Bradley, je n’ai jamais voulu voir ce que je représentais dans cette relation bancale, mais maintenant qu’Alexander l’a dit, j’ouvre les yeux. Une mère, non pas de trois enfants mais de quatre. C’est tout à fait ça. Il n’avait que dix-huit ans lors de notre union, nous étions deux gamins et j’ai remplacé sa mère une fois mariés.
Nous ne nous accordons aucun moment en amoureux, et quand les enfants ne sont pas là, il préfère regarder la télé que de passer sa soirée à me parler. Peut-être suis-je d’un ennui mortel, qu’en sais-je ?
Je ne devrais pas. Quel genre de femme suis-je ? Proposer de l’alcool à un jeune homme… Je n’aimerais pas qu’on le fasse à mon fils, alors pourquoi le faire avec celui d’une autre ?
Je ne suis ni folle, ni bête, évidemment que je ne le regarde pas de la même façon dont ses conquêtes le font. Jamais je ne pourrais être attirée par un jeune de son âge. Bien que majeur et vacciné, il ne faut pas se leurrer : il pourrait littéralement être mon fils.
Il est jeune, vingt-et-un an, c’est l’âge de l’amusement. Suis-je en train de le juger ? Pas vraiment. J’ai de la peine pour cette jeune fille, c’est certain, mais peut-on lui en vouloir à lui de s’amuser ? Il est attirant, musclé ce qu’il faut, viril sans l’être de trop. Il a une attitude nonchalante qui donne envie d’entrer dans son monde.
Fais ce que je dis, pas ce que je fais.
À la façon dont les joues de mon fils prennent une teinte rosée, j’en déduis qu’il est heureux. Son sourire ne le quitte pas jusqu’à la fin du dîner et il se dépêche de finir pour pouvoir retourner sur son ordinateur et annoncer la bonne nouvelle à son meilleur copain. Julie se met devant la télé, son père râle parce qu’il ne veut pas regarder la même chose qu’elle, alors je suis obligée de faire tampon et de demander à ma fille d’aller se brosser les dents et d’aller lire.
Le sourire qui prend vie sur son visage me fait oublier à quel point je souffre de voir mes enfants grandir. Je ne l’ai pas vu sourire depuis une éternité et si des vacances à tataouine le rendent heureux, alors j’appuierai sa demande auprès du patriarcat.
Le savoir seul me touche, alors je n’émets aucune objection et lui assure qu’il est le bienvenu et le sera toujours. Chez nous les portes sont ouvertes, même si c’est bruyant, même si je ne me repose jamais. Les enfants et leurs copains rompent ma solitude. Oui, il y a des moments où j’aimerais hurler, avoir du temps pour moi, ne pas avoir à me soucier de ci ou ça, mais entendre des cris et des rires m’aident à passer à travers mes journées d’isolément.