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Citation de Charybde2


« Un tribunal de la Guadeloupe, par jugement du 11 brumaire an XI (2 novembre 1802), a condamné Millet de la Girardière à être exposé sur la place de la Pointe-à-Pitre, dans une cage de fer, jusqu’à ce que mort s’ensuive. La cage qui sert à ce supplice a huit pieds de haut. Le patient qu’on y enferme est à cheval sur une lame tranchante ; ses pieds portent sur des espèces d’étriers, et il est obligé de tenir les jarrets tendus pour éviter d’être blessé par la lame. Devant lui, sur une table qui est à sa portée, on place des vivres et de quoi satisfaire sa soif ; mais un garde veille nuit et jour pour l’empêcher d’y toucher. Quand les forces de la victime commencent à s’épuiser, elle tombe sur le tranchant de la lame, qui lui fait de profondes et cruelles blessures. Ce malheureux, stimulé par la douleur, se relève et retombe de nouveau sur la lame acérée, qui le blesse horriblement. Ce supplice dure trois ou quatre jours. » (Joseph Elzéar Morenas, Précis historique de la traite des Noirs et de l’esclavage colonial, 1828)
Dans ce type de dispositif, le condamné périt parce qu’il a résisté ; parce qu’il a désespérément tenté d’échapper à la mort. L’atrocité de son supplice tient au fait que chaque mouvement corporel de protection contre la douleur s’est transformé en torture ; et peut-être est-ce là ce qui caractérise en propre de tels procédés d’anéantissement : faire du moindre réflexe de préservation une avancée vers la souffrance la plus insoutenable. Il n’est pas question de discuter ici du caractère inédit de telles tortures dont le système colonial moderne n’a certainement pas le monopole. (…)
(…) La technique employée semble cibler la capacité de (ré)agir du sujet comme pour mieux la dominer. Le dispositif répressif mis en place, en même temps qu’il exhibe et excite les réactions corporelles, les réflexes vitaux du condamné, les constitue comme ce qui fait à la fois la puissance et la faille du sujet. En face de lui, l’autorité répressive n’a nul besoin de le présenter dans une forme d’impuissance absolue pour s’affirmer. Au contraire, plus la puissance subjective est mise en scène dans ses efforts répétés, désespérés, pour survivre, plus l’autorité répressive la gouverne tout en disparaissant derrière la présence d’un bourreau passif et fantoche. Ce gouvernement mortifère du corps s’effectue dans une telle économie de moyens que le supplicié paraît même se mettre à mort lui-même. (…) En même temps, cette technologie de torture a pour seule finalité de l’achever, mais de telle sorte que plus il se défendra, plus il souffrira. (…)
Ce dispositif de mise à mort considère que celui qui lui est soumis peut faire quelque chose, et il vise, stimule, encourage précisément ce dernier élan de puissance dans ses moindres retranchements comme pour mieux l’interpeller dans son inefficience, le transmuer en impuissance. Cette technologie de pouvoir produit un sujet dont on « excite » la puissance d’agir pour mieux l’empoigner dans toute son hétéronomie : et cette puissance d’agir, bien que toute entière tournée vers la défense de la vie, en est réduite à n’être qu’un mécanisme de mort au service de la machine de pénitence coloniale. On voit ici comment une dispositif de domination entend persécuter le mouvement propre de la vie, cibler ce qu’il y a de plus musculaire dans cet élan.
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