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Citation de MegGomar


Mais je me demande ce qu’elle faisait quand on a jugé les commandants.
Si je me rappelle bien, je n’ai jamais entendu parler de ce procès à la
maison. Les séances étaient publiques. Est-ce que maman aurait assisté à
l’une d’elles ?
Elle est dans sa chambre. J’entre et je lui demande. Elle me regarde
abasourdie.
— Qu’est-ce que tu dis, Luz, tu es folle ? Comment peux-tu penser que
j’aie pu assister à ces séances où tous ces misérables apatrides ont osé
agresser ceux qui les avaient délivrés du danger de la subversion.
Je ne l’avais jamais vue aussi véhémente et convaincue.
— Mais tu as dû lire des articles à l’époque du jugement.
— Jugement ! Mais de quel droit ces types-là jugeaient ? Qui étaient-ils ?
— Il y a bien eu un procès, avec des juges, des avocats de la défense, des
procureurs, et il y a eu une sentence.
— Et qu’est-ce qui s’est passé ? Rien, ils ont tous été remis en liberté,
sauf les commandants qui donnaient les ordres. S’il y a eu des erreurs, elles
viennent d’eux, les autres n’ont fait qu’obéir. Mais ne crois pas pour autant
que j’approuve la condamnation des commandants, ce n’était pas une
guerre conventionnelle, et en fin de compte ce sont eux qui ont sauvé le
pays.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « ce n’était pas une guerre
conventionnelle » ? – je m’efforce de ne pas m’emporter, d’essayer de
savoir ce que croit maman, parce que ce n’est pas possible qu’elle soit au
courant de faits si abjects, si dégradants, et qu’elle les défende.
— Elle n’était pas conventionnelle parce que l’ennemi n’était pas à
l’extérieur mais s’était infiltré dans le pays, c’est pourquoi il a fallu agir
d’une autre manière. Il y a eu peut-être quelques excès, mais c’était une
guerre et l’important dans une guerre c’est de la gagner, à tout prix.
Je voudrais lui demander si elle considère que la guerre consiste en des
enlèvements à l’aube par des bandes anonymes, des « affrontements entre
des cadavres putréfiés et des fantômes », comme l’a déclaré un témoin, la
torture et le vol, mais je me tais et la laisse continuer : Ils ont sauvé le pays,
par contre qu’a fait ce crétin qui les a discrédités quand il était au pouvoir,
qu’est-ce qu’il a fait ? Je vais te l’expliquer, Luz, il a plongé le pays dans le
plus terrible des chaos, l’hyperinflation. Bien sûr, tu ne t’en rendais pas
compte, heureusement tu n’as jamais manqué de rien. Mais toi qui aimes les
pauvres – cette ironie qu’elle veut insultante –, eh bien, les pauvres ils
n’avaient plus de quoi manger, il est vrai qu’ils sont habitués. Elle allume
une cigarette et sa voix revient à des registres plus courants, comme si son
couplet sur Alfonsín et l’hyperinflation l’avait purgé de son exaltation
patriotique et rendu à son snobisme, à sa stupidité distinguée. Les pauvres
ont toujours été habitués à ne rien avoir, mais quand on a des biens et qu’on
voit ses propriétés menacées, son mode de vie, alors c’est bien pire.
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