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Citation de Lutvic


Lutvic
14 décembre 2018
Calypso, qui est le prototype de la blonde, celle que tous les hommes voudraient se faire mais pas forcément épouser, celle qui ouvre le gaz ou avale des cachets pendant le réveillon que son amant fête en famille, Calypso a pour retenir Ulysse un atout plus puissant que ses pleurs, que sa tendresse, et même que la toison bouclée entre ses jambes. Elle est en mesure de lui offrir ce dont tous le monde rêve. Quoi? L'éternité. Rien de moins. S'il reste avec elle, il ne mourra jamais. Il ne vieillira jamais. Ils ne tomberont jamais malades. Ils garderont pour toujours l'une le corps miraculeux d'une très jeune femme, l'autre celui, robuste, d'un homme de quarante ans au sommet de sa séduction. Ils passeront la vie éternelle à baiser, faire la sieste au soleil, nager dans la mer bleue, boire du vin sans avoir la gueule de bois, baiser encore, ne jamais s'en lasser, lire de la poésie si ça leur chante, et pourquoi pas en écrire. Proposition tentante, admet Ulysse. Mais non, je dois retourner chez moi. Calypso croit avoir mal entendu. Chez toi? Tu sais ce qui t'attend, chez toi? Une femme qui n'est déjà plus de la première jeunesse, qui a des vergetures et de la cellulite et que la ménopause ne va pas arranger. Un fils que tu te rappelles comme un adorable petit garçon mais qui est devenu en ton absence un adolescent à problèmes et qui a des fortes chances de tourner toxico, islamiste, obèse, psychotique, tout ce que les pères redoutent pour leurs fils. Toit-même, si tu t'en vas, tu seras bientôt vieux, tu auras mal partout, ta vie ne sera plus qu'un couloir sombre qui se rétrécit et si atroce qu'il soit d'errer dans ce couloir avec ton déambulateur et ta perfusion sur roulettes tu te réveilleras la nuit ivre de terreur parce que tu vas mourir. C'est cela, la vie des hommes. Je te propose celle des dieux. Réfléchis.
C'est tout réfléchi, dit Ulysse. Et il part.

Beaucoup de commentateurs, de Jean-Pierre Vernant à Luc Ferry, voient dans le choix d'Ulysse le dernier mot de la sagesse antique, et peut-être de la sagesse tout court. La vie d'homme vaut mieux que celle de dieu, pour la simple raison que c'est la vraie. Une souffrance authentique vaut mieux qu'un bonheur illusoire. L'éternité n'est pas désirable parce qu'elle ne fait pas partie de notre lot. Ce lot imparfait, éphémère, décevant, c'est lui seul que nous devons chérir, c'est vers lui que nous devons sans cesse retourner, et toute l'histoire d'Ulysse, toute l'histoire des hommes qui consentent à n'être qu'hommes pour être pleinement hommes, est l'histoire de ce retour (pp. 292-293).
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