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Citation de Malone


Vous ne devriez pas dire "se perdre en forêt" mais "s'y être perdu". Être en même temps quelque part et nulle part. Dans la forêt et hors de tout. Avoir perdu le sens : être partout. Chaque branche, chaque taillis, fossé, souche, pièce de sol, fougère, bois mort, mousse, ornière, sentier, trace de patte ou de pied, cri d'animal ou chant d'oiseau, tout est fixe. Mais à cette fixité, rien qui puisse être rattaché, aucune histoire, aucun personnage. Les choses qui sont là n'ont pourtant rien d'effrayant. Elles sont douces et lentes, paisiblement étagées. Rien qui bouge en forêt si ce n'est la forêt sur place. Chaque arbre est un miroir, chaque rocher un écho. Tout ce qui s'y sent, s'y voit, ou s'y entend est déjà connu et cependant nouveau. La première fois est comme les autres : pas deux endroits qui se ressemblent. Ils sont tous identiques. Pas deux forêts pareilles. C'est toujours la même. Pas d'espace en forêt pour qui s'y est perdu. Ni ficelle pour en sortir ni cailloux à faire tomber des poches. Ni appels : la voix en forêt n'est qu'un son que la forêt rend à elle-même. L'absence d'espace engendre le vertige; le défaut de mesure fait naître la peur. C'est une horloge arrêtée, un accident très feutré du sens, lequel n'a pas de commencement. Car la peur vient après, avec la pensée d'un point de départ, dans l'idée du retour au lieu de perdition. Revenir sur ses pas : alimenter la peur. C'est une circonstance très abstraite; la forêt fait marcher celui qui s'est perdu en elle. Il va en rond, croyant trouver l'issue. Tourné en bourrique est le sort du perdu. La forêt n'a pas d'autre bout que les arbres qu'il voit, pas d'autres bords que ses rondes intérieures, pas d'autre centre que son inquiétude. N'étant ni renard, ni hibou, il reste toujours étranger à ce qui l'entoure, étranger à la forêt sans issue mais que rien ne clôture. Car, contrairement au labyrinthe, une forêt n'a pas d'issue parce qu'elle n'est fermée de nulle part. Elle s'engendre soudain dans la peur sans limites.
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