Tout savoir, pour un lecteur, c’est ne plus exister.
Parfois, il faut faire confiance à nos souvenirs, même s’ils nous trompent – et parce qu’ils nous trompent. En altérant la réalité, en nous entraînant sur des chemins de traverse, ils nous parlent de nous-mêmes d’une voix nouvelle. Ils nous font imaginer ce qui n’existait pas et, du même coup, nous font entrevoir ce qui n’existe pas encore. Ils réécrivent notre histoire et se font ainsi les précurseurs de notre avenir. C’est justement parce qu’ils détournement la réalité, parce qu’ils la modèlent sur nos désirs insoupçonnés que nos souvenirs ont le pouvoir de nous révéler notre destinée intime.
Ce qui nous manque, ce n’est pas avant tout la joie ou la légèreté que nous ressentions, mais la plénitude infinie de nos sentiments, close au temps et imperméable au devenir. C’est la texture éternelle du moment, saisi dans le roc brut de la vie, détaché de son futur.
C'est plus tard que la douleur survient. Pour l'infidèle, surtout. Ce qu'il comprend, avec l'âge, c'est qu'il est pire de tromper que d'être trompé...
Pour l'infidèle, chaque année qui passe l'éloigne un peu plus de l'image qu'il aimerait emporter de lui-même. Cette distorsion menace tout ce qu'il a construit. Parce qu'ultimement c'est avec nous-mêmes que nous devons nous réconcilier.
Dieu se révèle dans l’interstice du doute – dans le soupçon qu’il pourrait, tout compte fait, affleurer à la surface de mon regard, malgré l’évidence écrasante de son absence.
Ce ne sont pas uniquement nos propres rêves, ce sont aussi ceux des autres qui nous aident à persévérer. D’abord parce que, ne venant pas de nous, ils sont plus tangibles et moins capricieux que ceux que nous manufacturons dans notre solitude. Mais surtout parce que, pour peu que nous acceptions de suivre les chemins qu’ils dessinent pour nous, ils se font bientôt les reflets de paysages, de transformations, de devenirs que nous abritions en nous, insoupçonnés, et que, sans leur vigilance et leur regard insoumis, nous n’aurions jamais crus possibles.