AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Sepo


Car les gens là-bas ne se plaignaient pas, ne geignaient pas, vous parler d'un Goulag où ils étaient nés et leurs parents morts comme une genèse naturelle, feignant parfois l'ironie, souriant souvent à demi pour retenir des larmes, et vous hochiez la tête, avec sur les lèvres un sourire, mais un sourire benêt, sans compassion, parfois même à la limite de rire franchement pour leur insuffler un zeste de cette bonne humeur dont à vrai dire vous manquiez totalement - ou alors, ils vous parlaient de la guerre et vous pensiez papy aussi a fait la guerre, sans voir qu'il y avait du Blitz au plan Barbarossa, de la drôle de guerre à la grande guerre patriotique et du STO au Goulag un abîme infranchissable et que la seule vraie frontière n'était pas sur les cartes, n'était ni naturelle ni arbitraire, n'était pas une ligne rouge bien réelle, une frontière profonde, historique, mémorielle, corporelle, qui n'avait pas tranché l'Europe car il n'y avait jamais eu d'Europe mais qui avait tranché des bras et des jambes, des cous, des cœurs, des langues, des cerveaux. Mais comment comprendre cela quand on avait encore rien vécu soi-même, né douillettement, élevé douillettement dans une Europe aseptisée, privé d'une mémoire qui s'était camouflée d'abord à l'abri de la gloire, ensuite à l'abri de la honte, décorant dans un premier temps les hommes de croix puis décorant les lieux de plaques de marbre noir - si bien que cette absence de vécu vous rendait sourd, borgne, indisponible, voir affecté de cette cécité d'âme, de cette insuffisance centrale.
Commenter  J’apprécie          10









{* *}