[À propos de la lame n°16 « La Maison Dieu » du Tarot de Marseille de Paul Marteau édité par Grimaud]
Cette lame est considérée comme redoutable lorsqu’elle sort dans le jeu. Elle signifie écroulement, ruine et la game la plus sombre des accidents. C’est donc une mauvaise lame.
Pourtant un examen attentif démentira tout à fait cette interprétation. Ne peut-on s’étonner en effet de ce que cette tour croulante soit appelée Maison Dieu ? Ce terme évoquerait donc plutôt l’idée d’un tabernacle, qu’une réserve d’or vulgaire menacée de ruine. Considérons donc attentivement la gravure.
Nous voyons en réalité une tour dont le toit se soulève sans difficulté, comme un couvercle. il n’est donc pas ici question de tour foudroyée. C’est tout simplement l’athanor ou four des alchimistes, au moment où se produit ce qu’on appelle la première conjonction, qui est le don de Dieu. Ce qui pénètre dans la tour c’est ce nitre coruscant qui va devenir le mercure des philosophes. L’athanor a été souvent décrit par les auteur anciens comme une tour ronde de briques cimentées. Ne voit-on pas par les trois fenêtres de cette tour qu’elle se remplit de ce grand air qu’est l’azur céleste ? C’est là le noble sang bleu qui va peu à peu se figer en miel de charité. C’est ce même nitre coruscant, appelé aussi nitre des monts qui fut manifesté au sage Moïse dans la nuée au milieu des éclairs. Nous voyons donc ici avec ce grand don, le commencement de l’oeuvre de la cabale chimique ou mystère de la création.
Les deux personnages, loin d’être précipités du haut de la tour, sont en réalité deux fols dansant sur la tête comme des enfants joyeux. C’est la danse dite « de Salomé » ou « Danse de David devant l’Arche ». On pourra ainsi interpréter qu’ils marchent tête en bas pour mieux lire les signes inscrits dans cette terre philosophique ou Sainte Egypte. L’un est le maître et l’autre le disciple. le maître, en effet, enseigne par la parole et montre de la main. C’est pourquoi le corps du personnage de droite demeure caché, à l’exception de la tête et du bras qui le définissent. Le personnage de gauche est le disciple, le corps rouge et ridé de l’homme des sens commence à se fendre comme une carapace craquelée sous la poussée intérieure de l’homme céleste. On remarquera aux genoux les bas usés par la prière. La position des jambes est significative : le pied levé verticalement indique une hiérarchie entre l’esprit et le sens. Le pied levé vexe l’étude puisque l’esprit domine le sens. Pour l’autre jambe, le pied bleu et la jambe rouge sont à même hauteur. L’esprit et le sens se font équilibre l’un à l’autre, ils vont de compagnie.
Au pied de la tour, sur un sol sec, on voit deux petites flaques d’eau. Cette eau devrait être à l’intérieur mais le dessinateur n’a pas trouvé d’autre moyen d’indiquer cette vapeur condensée sur les parois et qui peu à peu s’écoule en eau au fond du vase. C’est la fontaine où puisera le sage disciple de la philosophie.
Voyons enfin le mercure vulgaire en ces petits cercles bleus, blancs et rouges tombant peu à peu sur le sol. le bleu indique sa nature céleste, le blanc sa pureté lorsqu’il n’est pas mêlé au mixte, le rouge nous rappelle la nature en quelque sorte magique de cet air sensible qui anime notre monde.