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Citation de Charybde2


De s’être débattu comme un diable dans le cœur sombre du XIXe siècle n’aura pas suffi. Rappelons les faits, pourtant extraordinaires. Né le 9 avril 1821 à Paris, Charles Baudelaire est âgé de 6 ans lorsque succombe son géniteur, disparition qui va influencer sa vie dans les grandes largeurs. De ce drame personnel naîtra une poésie universelle. Sans la mort de son père, notre homme n’aurait probablement jamais porté sa croix de poète maudit. Peut-être même serait-il devenu fonctionnaire, marchand d’art, ou pire encore. Il n’aurait pas passé son existence à honnir son beau-père, Jacques Aupick, ce général d’armée, autoritaire par profession, qui va involontairement nourrir la révolte de l’adolescent, le plongeant tout de go dans une insondable névrose et le frappant, pour ainsi dire, de malédiction. La mère symbolisera l’élan sensible et créatif, le père, la basse-fosse où agonisent les rêves et leur pendant sacré, la poésie. Prisonnier de ce schéma difficile, pour ne pas dire délétère, Charles va transgresser comme il respire. Renvoyé en 1838 du lycée Louis-le-Grand, il s’échine à mener une vie à l’encontre des valeurs bourgeoises qu’incarne la famille. Ce dégoût devient le nœud gordien de son inspiration. Il passe son bac, dernier repère du conformisme, mais replonge, comme l’opiomane (qu’il n’est pas encore), dans sa drogue : la sédition de principe. Jugeant la vie de l’adolescent scandaleuse et désireux de l’assagir, Aupick le fait, dit-on, embarquer pour Calcutta. Mais ce périple mystérieux, imparfaitement documenté, ne sert à Charles qu’à colorer sa révolte totale menée au nom de la Beauté : elle sera exotique ou ne sera pas. Jacques a raté son coup et, finalement, on ne sait si Charles devient poète précisément afin que le coup rate. Quoi qu’il en soit, le voilà désormais toisant les sensualités inédites de ce monde, méprisant la médiocrité comme d’autres se préservent d’une maladie mortelle. En 1840, à l’âge de 19 ans, le cours des choses s’accélère comme il était prévu, pour ce grand torturé, qu’il s’accélérât. Par provocation et par amour, il se lie à Jeanne Duval, à ce point citée par les futurs exégètes de l’œuvre de Charles, qu’elle semble, avec le temps, avoir revêtu le masque du personnage central. À en juger par son endettement, sa mise sous tutelle, sa vie dissolue, Charles serait sans doute pris pour un parfait raté s’il ne produisait une poésie absolument révolutionnaire relevée d’une posture de dandy qui magnifie sa vie de débauche. Pour parachever cette débâcle personnelle, lui, le jeune homme bien né, va contracter la syphilis. Il en combattra les douleurs grâce au haschich dont il devient dépendant. Il n’a que 21 ans et vient de débuter Les Fleurs du mal, le parfum vénéneux des adolescences des siècles à venir. Ce n’est qu’en 1857 que paraît l’ouvrage, aussitôt interdit pour offense à la religion et outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. En attendant, Charles sera critique d’art, journaliste, défenseur de la liberté sur les barricades de la « Révolution de février ». Souffrant toujours d’addiction et d’endettement, il fuira en Belgique et connaîtra ce que l’on nomme alors des « troubles cérébraux ». Épuisé par quatre décennies de tourments créateurs, il meurt une première fois à 46 ans, en 1869, l’année où paraît son autre chef-d’œuvre, Le Spleen de Paris. Tant d’affres, d’aventures, de dérives, toutes aussi intenses que mille vies vécues, n’auront pas suffi à souffler l’existence de Charles Baudelaire : le 18 janvier 2018, 149 ans après sa mise officielle au tombeau, dans le quartier du Marais, entre une sortie de métro et un kiosque à journaux, Charles revient – si l’on peut dire – à la vie, sous la forme d’un zombi syphilitique.
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