Eric Chauvier vous présente son ouvrage "
Plexiglas mon amour" aux éditions Allia.
Rentrée littéraire automne 2021.
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plexiglas-mon-amour
Note de musique : © mollat
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Ainsi, je voudrais une nuit, quand l'heure des voluptés sonne, vers les trésors de ta personne, comme un lâche, ramper sans bruit, pour châtier ta chair joyeuse, pour meurtrir ton sein pardonné et faire à ton flanc étonné une blessure large et creuse.
Elle n’a que ça en tête : tout faire brûler. Comment peut-elle dire ça alors que tout est déjà réduit en cendres autour d’elle?
La regarder, je ne fais que ça. Mais elle, me voyait-elle seulement? Je n’ai aucune raison de le penser. J’étais le fils de l’instituteur et jouissais à ce titre d’une sorte de statut remar¬quable, quoique seulement aux yeux des jeunes gens raisonnables, respectueux d’un ordre qui les rassurait. Ce n’était pas le cas de Laura. Elle semblait indifférente à mon soi-disant “statut”. À ses yeux, j’étais peut-être même complice du mal indistinct qui s’acharnait sur elle. Elle m’a toujours donné l’impression de mépriser tout ce qui se ratta¬chait à l’école républicaine, ses symboles et ses prétendus principes d’égalité.

p62
Culture. - Les bulls déchiraient le bois* de hêtres (ce bois que nous apprécions tout de même beaucoup, cela, maintenant nous sautait aux yeux) et les amoncellement de ronces hautes comme des immeubles de trois étages qui suscitaient autrefois notre effarement régulier ; des panneaux publicitaires jonchaient le sol,ou bien étaient enfouis, semblant déjà appartenir à une autre époque ; des promoteurs donnaient leurs ordres aux chefs de chantiers en balayant l'horizon par de grands gestes. Nous en avons reparlé le soir de ce que nous avions vu, tenant une sorte de "comité d'urgence" (nous avons ri de ces mots qui nous donnaient une importance démesurée) où chacun pouvait faire une proposition qu'il jugeait adaptée. Mais notre colère n'était pas assez canalisée pour s'exprimer distinctement. Quant aux habituelles pétitions ou doléances, elles n'étaient pas assez puissante pour exprimer ce que nous ressentions. Certains ce sont lancés dans des métaphores emphatiques, où il était question de "beauté foudroyée", d'"ennemis définitifs" et de "destructions massives", mais ça ne tenait pas. Avant même de parler, ils savaient que leurs mots étaient trop lourds et trop loin de notre monde vécu. Nos voix ne porteraient pas, et cette impossible conversion de l'intime en politique nous préoccupaient au plus haut point. Avec ce rapt de notre raison anthropologique, nous avons pressenti l'avènement d'une nouvelle "crise culturelle", qui nous est apparue comme "la faillite de tous les modèles de transcription usuels de notre ordinaire". Finalement, pour être prise avec la zone périurbaine qui s'étendait un peu plus chaque jour autour de nous et en nous, il fut décidé de reprendre les notes que nous avions consignées depuis des mois - ces "outils" étaient à taille humaine - , puis de les organiser à la seule mesure de la colère qu'avait initialement déclenchée la lecture de l'hebdomadaire. Tout autre choix de vie nous semblait faux et impraticable -définitivement impraticable.
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note personnelle et non pas de l'auteur, pour aider à la lecture de cette citation
* au début du texte il est question d'un espace boisé qui va être destiné à la construction de nouvelles constructions, source de discordes

P44 - 45
...Ma question est simple et pragmatique : pourquoi enseigner et pratiquer la sociologie de Maurice Jeanjean (pseudo) alors qu'elle ne peut intitier celui qui s'y adonne au mystère d'une rencontre ordinaire ? (...) Cette observation s'inscrit dans un argumentaire plus large, selon lequel les vérifications d'un système théorique par la réalité doivent inspirer de la méfiance : la réalité vous semble-t-elle devoir se justifier de perdre et gagner dans cette conversion ? Et si cela se fait, qu'avez-vous l'impression de perdre et de gagner dans cette conversion ? Peut-être que certains pans de votre mémoire sensible, certains reliefs de votre capital biographique, ce qui vous constitue en propre, se trouveront escamotés. Pourtant, les système classificatoires de la sociologie finiront par avoir raison de vous.
Biens sûr, vous ne les appellerez pas par leurs dénominations savantes, mais ce n'est pas grave au fond puisque des cabinets-conseils sauront vous les rendre intelligibles. Au moment de devenir des cibles, l'enjeu ne vous semblera même pas important, qu'il s'agisse d'acheter de l'alimentation surgelée ou de scruter, en expert bien sûr, la situation de X.
Proposer des classements sociologiques des pratiques humaines, contenus dans de systèmes binaires et prétendument universels, permet dans une large mesure de vendre de l'alimentation surgelée - produisant également de la pensée surgelée.
La pratique de l'universalité est devenue un plan marketing. La récupération est aisée puisque les outils qui servent l'universalité sont tout à fait simplifiés.(...) Je ne soutiens pas que la sociologie telle que la pratique Maurice est inutile ou inadéquate -(...)- mais plutôt qu'elle corrompt la perception que les individus ont de leur monde ordinaire.
Cette dérive des outils objectivant et neutralisant de la sociologie classique trouve des illustrations ad hoc à travers le témoignage de George (...) Si les profanes ont des tendances naturelles à simplifier les choses en les classifiant, ce phénomène a largement été accentué par la dérive des outils sociologiques, au point de confondre la modélisation de l'expérience de vie en communauté avec la neutralisation pure et simple des formes de vie qui la constituent.
Je ne sais comment Maurice (..) en est venu a théoriser le monde environnant sans observer X (...) à considérer qu'il n'avait pas à rencontrer X au moment d'apporter à son sujet un commentaire théorique. Et il y a là (...) un authentique gâchis. La peur de se confronter au mystère d'une rencontre en est peut être la raison - le visage de X pourrait effectivement faire vaciller la théorie de Maurice Jeanjean. La théorie du sociologue se dresse sèchement face à ce chaos inimaginable : le regard de X.
Il a appartient aujourd'hui aux êtres dissonants de résister autant que faire ce peut à cette fiction discriminante de béatitude, d'une part en traquant les dérives de ce langage afin que sa vacuité saute aux yeux du plus grand nombre, d'autre part en alimentant in situ sa dissonance. L'enjeu est à la fois de déstabiliser les tenants de ce langage dominant, et de se forger une ligne de conduite critique. Il faut prendre la tangente, se carapater dans son infamie, pour faire l'épreuve de sa différence, et, sans cesse, vérifier que l'on n'est membre d'aucune équipe, et que celà ne mène à aucune honte. Il faut explorer sa dissonance, même si,à ce que l'on dit, elle empeste. Il s'agit là d'un acte de résistance et de clairvoyance.(...) celui qui voit est celui qui sait refuser la niche du lexique et la laisse de l'intonation, ce discours de manager qui se répand dans l'équipe comme un anxyolitique (...)
Il faut observer comment, en quelques décennies seulement, la conflictualité de classes est devenue inaudible, puis indicible. Le langage de la gouvernance nous pousse désormais à confondre un monde social sans tension et un monde social sans mots évoquant des tensions.
C'est ainsi que prend forme le consensus de crise : dans la prostration du langage. C'est ainsi que toute disposition individuelle à la vulnérabilité psychologique est travaillée au corps par le langage ordinaire, par ces mots qui n'ont l'air de rien.
"TEMPS. - Un peu comme on se réveille d'un mauvais rêve, nous nous sommes rendu compte, après avoir décidé de nous arrêter sur notre mode de vie et de réfléchir à notre existence dans ce cadre périurbain, que notre temps s'égrenait au rythme du flux des voitures circulant dans notre rue. Nous avions, certes, des repères de type chronologique, mais ceux-ci n'étaient que la surface illusoire de notre existence. De façon plus profonde, notre temps est rythmé de manière quasi inconsciente par les bruits des voitures aux heures de pointe ou bien le calme total qui, aux heures creuses, s'abat sur notre rue comme sur un enterrement."
Dans ce récit anthropologique où se mêlent mélancoliquement l’histoire intime du narrateur et l’histoire sociale des habitants de Saint-Yrieix, Éric Chauvier (natif de cette «petit ville») revient sur les traces de son enfance et se penche sur les mutations du capitalisme ; mutations qui sont la cause d'une baisse de qualité dans les petites et moyennes villes, avec déprise démographique et économique ; des mutations du capitalisme qui produisent une ville sans futur, qui est, paradoxalement, la ville de demain...