Kemmerich est mort. Haie Westhus meurt. Au jour du jugement dernier, on aura du mal à recoller le corps de Hans Kramer qui a été écrabouillé par un obus; Martens n'a plus de jambes, Meyer est mort, Marx est mort, Beyer est mort, Hammerling est mort; cent vingt hommes sont couchés quelque part, la peau trouée; c'est une chose maudite, mais en quoi cela nous touche-t-il maintenant ? Nous vivons. Si nous pouvions les sauver, oui, on le verrait, peu nous importerait de risquer nous-mêmes notre peau, car nous avons, quand nous le voulons, un sacré ressort: nous ne connaissons guère la peur, sauf la peur de mourir, mais alors c'est autre chose, c'est physique. Mais nos camarades sont morts, nous ne pouvons pas les aider; ils ont la paix. Qui sait ce qui nous attend encore ? Ce que nous voulons, c'est nous caler là et dormir, ou bouffer à plein ventre, nous pocharder et fumer, pour que les heures ne soient pas vides. La vie est courte. (p. 126, livre de poche)