Ernest Tidyman

Certaines personnalités s'entendent aussi bien que deux boules de glace faites pour le même cornet ; d'autres se complètent comme molette et pierre à briquet. Ces deux-là faisaient des étincelles.

- Bon Dieu, vous ne pouvez pas accélérer un peu le mouvement ?
Les deux hommes s'interrompirent, enfoncés dans la terre jusqu'à la ceinture.
- On sait ce qu'on fait. Faut que les bords restent droits, sinon on ne pourra pas sortir le cercueil. Vous voulez qu'on le tire de là, non ?
- Je veux que vous le sortiez aujourd'hui, pas la semaine prochaine.
- Alors, calmez-vous, grommela le plus âgé des deux fossoyeurs. Si vous trouvez qu'on va pas assez vite, venez creuser vous-même.
Kelly ravala sa hargne et retourna près du corbillard. Il se faisait tard et il lui restait tant à faire. Une fois le cercueil exhumé, il lui faudrait le conduire dans un endroit tranquille où il pourrait l'ouvrir, récupérer l'argent - et s'évaporer.
L'Amérique du Sud, peut-être. Oui, décida-t-il. Rio de Janeiro. Il se contenterait de disparaître, changerait de nom, se laisserait pousser la barbe...s'évaporerait.
Mascola n'aurait jamais l'idée de le chercher en Amérique du Sud.
Mascola croyait que le monde s'arrêtait à la limite du comté de Nassau.
Il jeta un coup d'oeil aux fossoyeurs.
Bon Dieu, une minuscule pelletée à chaque fois. Ces salauds ne transpiraient même pas.

Et Creighton n’avait rien contre les Noirs arrivés. Les autres, c’était différent. Dans le monde du spectacle ou des sports, certains affichaient une arrogance insupportable, tout simplement parce qu’ils avaient la chance de savoir chanter, danser ou jouer, lancer un ballon de football ou de base-ball. Du point de vue de Creighton, ces gens-là n’avaient aucune classe ; mais tant qu’ils payaient la note, on était bien obligé de les accepter.

Ça n’existe qu’au cinéma, mon pauvre ami. Dans un film policier, ça paraît tout simple, mais dans la réalité, ce serait beaucoup plus compliqué, il y aurait tellement de gens à mettre dans le coup ! Alors ? L’attaque d’un fourgon blindé ? Merde ! Vous en connaissez beaucoup qui ont réussi à s’enfuir avec le fric ? Avant qu’ils commencent à le compter, ils auraient les fédés au cul, en train de les canarder. Les transports de paye d’ouvriers ? Allons, c’est périmé, on se sert de chèques, maintenant.

En se dirigeant vers la porte, il jeta un regard à la massive statuette d’ébène qu’il avait ramenée du Mozambique. Elle représentait un poing fermé dont le majeur était dressé. Il prit le temps d’en masquer l’obscénité en la tournant de côté. Une fille arabe, au Maroc, avait proposé de lui montrer tout ce qu’on pouvait tirer d’un tel engin. Ça avait été intéressant, mais pas tellement surprenant. Ça lui avait rappelé simplement qu’il y a des aberrations sexuelles presque derrière chaque porte, y compris derrière la sienne.

Ce n’est pas parce que les trafiquants qui tuent les petites filles et les sadiques qui martyrisent les homosexuels sont la vermine, la lie et le cancer de l’humanité et, en tant que tels, méritent amplement de mourir, que lui, un flic, pouvait se permettre de laisser ce grand diable de Noir s’en tirer ainsi. On n’a pas le droit d’agir comme ça, bon Dieu. Les lois sont là, les tribunaux, les prisons. Il y a un ordre établi. Il y a des règles à observer.

Et la pauvre ! Elle vendrait sa mère à un maquereau arabe pour avoir sa dose quand son ventre lui fait mal et que ses dents jouent des castagnettes. Il fallait qu’elle vous donne quelque chose contre sa piqûre et elle vous a donné Buford. Buford aurait monté un coup de cinq cent mille dollars ? Quelle connerie ! Buford ne pourrait même pas voler un ticket de métro à une bande de mômes.

La seule issue qui vous reste, c’est l’armée, mon vieux. Et encore, à condition qu’il y ait un service qui veuille bien de vous. Et je me demande bien pourquoi il vous voudrait.
Mais, naturellement, on l’avait pris : il leur fallait des mecs un peu dingues qui ne reculeraient jamais au combat parce que tout ce qu’ils avaient derrière eux, c’était la société, et que c’était encore pire que l’ennemi.

Ça, c’était bien Mme Klonsky ! « Sa » Polonaise, qui, comme tous les Polonais du monde, haïssait tout et tout le monde – y compris Shaft et son appartement – mais haïssait par-dessus tout la poussière. Cette femme aux yeux bleus, au visage lunaire, au nez crochu, avait déclaré la guerre à la poussière et la pourchassait jusqu’au dernier atome.

Tu t’es contenté de l’envoyer à l’hôpital, de lui voler son portefeuille et de ruiner sa réputation, peut-être. Un homme que tu n’avais jamais vu jusque-là, qui ne t’a jamais rien fait. Tu ferais dégueuler Hitler.