Evelyne Traversi

Une heure plus tôt, un homme vêtu d’un imperméable foncé attendait le départ du dernier employé de la déchetterie de Brevannes. Il regarda à gauche, à droite et derrière lui, tout était calme. D’un geste brusque, il jeta sa cigarette à terre qu’il écrasa du bout de ses Churchs. Il adorait ces chaussures anglaises, qu’il achetait dans une boutique de Regent Street à Londres. Les giboulées de mars étaient encore glacées. Il remonta son col, fouilla dans sa poche, en sortit son GSM et composa le numéro de Marc Rutéroy.

Dans l’après-midi, il avait eu un appel de Marc lui demandant de passer vers dix-neuf heures. Celui-ci lui avait recommandé la plus grande prudence. Il n’avait pas besoin de ce conseil, il avait l’habitude. C’était comme on dit « un professionnel du nettoyage ». Il avait déjà travaillé pour Marc, il s’en souvenait parfaitement, on n’oublie jamais un échec, surtout si c’est le premier.

[…]

— Enfin, se dit-il à voix haute, le temps de la revanche arrive, Pierre Utrillos, tu vas mordre la poussière. Il m’a fallu du temps et de la patience, mais le jour est arrivé, tu ne t’en sortiras pas indemne, tu vas payer et le prix sera fort.

L’espace d’un instant, un rictus agressif lui défigura le visage. Ses yeux, qui d’habitude étaient d’un bleu azur, prirent une couleur de bleu acier. Trois coups secs furent frappés à la porte.

— Entre !

Hasting avait fait la guerre du Golfe. Ancien marin, il avait monté l’agence APRI (Agence privée de recherches et d’investigation). Pour ce faire, il avait embauché d’anciens mercenaires prêts à tout, lui-même n’avait aucun état d’âme, l’argent était son seul maître.

La température en ce début de soirée atteignait encore quarante degrés, et, malgré cette chaleur, Raimondo tremblait de froid. Il était trempé jusqu’aux os, des frissons désagréables traversaient son corps meurtri par la posture qu’il lui imposait sept jours sur sept. Son dos le faisait particulièrement souffrir. Assis sur les marches du carbet qu’il partageait avec son frère, il regarda ses mains fripées par l’eau boueuse de l’Inini, un affluent du fleuve Maroni. Ses ongles n’étaient plus que des moignons, il avait posé du vernis pour essayer de les durcir, mais l’humidité les avait rendus mous. Tout comme les ongles de ses orteils qui, enfermés toute la journée dans l’humidité de ses bottes en caoutchouc, présentaient des mycoses. La cuisinière de la cantine, qui l’avait pris en affection et le chouchoutait, lui avait préparé une concoction à base d’eau et de sel, mais rien n’y faisait. Quant à son dos, la seule chose qui le soulageait, c’était le caly. Raimondo était un garimpeiro brésilien venu en Guyane avec son frère, en pleine forêt amazonienne, pour trouver de l’or.

Il venait de finir son repas pris à la cantine collective et il dégustait une bière tout en fumant son « joint ».