Je ne veux pas, malgré tout,
de murs épais,
si épais que l'on n'entende pas
le silence des autres,
fait de quelques voix et de bruits
qui filtrent au travers des murs,
signes de la vie
qui s'écoule à côté,
en bas, en haut et contre moi ;
je veux des murs qui ne m'isolent
que légèrement,
disposer du silence
que les autres gardent,
savoir qu'il est fragile,
ne pas faire de bruit c'est la manière
d'être ensemble
et en contact.
Je la connaissais si peu. La femme réservée et passive s’était métamorphosée en un être expansif et charnel, qui, au cours de notre visite au colonel, avait pris la situation en main puis m’avait sauvé une fois encore chez les frères Jimenez en récitant par cœur les poèmes d’Isabel Fraire. Je la revis dans le lit de mon père, enlacée par lui mais ne lui rendant pas son étreinte, lui présentant son dos comme on lance une planche à quelqu’un qui se noie. Un sentiment contradictoire envers elle m’envahit alors, un mélange de reconnaissance et de répulsion.
Découvrir que mon père, cet homme plutôt mélancolique, qui subvenait fidèlement aux besoins de sa famille, écrivait de la poésie, ne me procura pas le moindre enthousiasme. Il y avait quelque chose d’affligeant à l’imaginer en proie à une envolée lyrique, érotique de surcroît, car il s’agissait d’un texte érotique, et je ressentis un certain soulagement en retournant la feuille, quand je vis le nom d’Isabel Fraire au bas du dernier vers. Je relus le texte et il changea immédiatement sous mes yeux. Il me parut non seulement bon, mais extraordinaire.
Je vis que papa avait recopié le poème à la perfection, sans rien ajouter ou enlever, et cette fidélité à toute épreuve m'attrista. Je l'imaginai le reproduisant mot à mot, s'efforçant de ne pas se tromper, avec la même appréhension que lorsqu'il réceptionnait au magasin les meubles qu'on lui livrait de la capitale ou de la province, veillant à ce qu'ils ne heurtent pas un mur ou un autre meuble. Telle avait été sa vie, veiller sur les objets pour qu'ils passent de main en main, sans s'y attacher et sans interférer. À une occasion, il m'avait raconté avec un certain orgueil qu'il était le seul de ses amis de jeunesse à boire avec modération, il les ramenait donc chez eux les nuits de fête, le plus souvent ivres. Je lui demandai si ce rôle ne le dérangeait pas, soutien et surveillant à la fois, et il me répondit que non, car, étant donné qu'il était le seul à rester sobre, tous lui avouaient leurs péchés et leurs faiblesses, y compris les parents de ses amis, qui s'en ouvraient auprès de lui quand il déposait leurs enfants sains et saufs chez eux. Je ne fus pas convaincu par cet argument et il dut le remarquer, car je vis son visage devenir gris, comme si soudain, après tant d'années, il comprenait que ses amis l'avaient utilisé ou, pire encore, qu'il avait endossé ce rôle de soutien par lâcheté, évitant aux autres de chuter, mais au prix de ne jamais avoir vécu lui-même une chute.
Je cherche des blagues avec mon détecteur. Il lui montra sa baguette métallique, un tube opaque qui possédait un voyant à une extrémité. Elle lui demanda comment cela marchait, et il lui expliqua que la lumière s'allumait en présence d'une blague prononcée dans les deux ou trois jours précédents, ce qui représentait la durée moyenne de conservation d'une blague à température ambiante. Dans certains lieux tels que les cimetières, toutefois, on pouvait aller jusqu'à une semaine
J’ai toujours aimé les femmes grandes. Plus sensibles et loyales que celles de petite taille, si elles sont laides, elles ne le sont pas entièrement, car la hauteur dilue les défauts. L’inverse est également vrai et il est rare de voir une femme de haute taille d’une grande beauté, mais pour moi, une beauté moyenne est préférable à une beauté irrésistible, si cette dernière s’accompagne de mesquinerie.