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Critiques de Fabio Scotto (3)
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Sur cette rive

Composé d'extraits de La Douce Blessure, d'Anniversaire, de l'Intouchable, et du recueil Bouche Secrète, le beau volume donné par L'Amourier est une infinie conversation avec l'aimée. Le lecteur y est invité et y restera pris au souvenir d'une image, d'un drapé, d'un tableau qui n'a pas été peint.

Le Corps du Sable de Fabio Scotto se lit et se relit comme une poignée de sable fin, chaud, que l'on laisse glisser entre ses doigts. Il en reste, longtemps après, l'insaisissable impression d'une caresse invisible, que l'on perdrait à vouloir refermer la main. On reste, immobile, dans la demi-lumière du recueil, avec le sentiment de revenir d'un voyage et de reconstruire ses habitudes. Oui, le retour d'un univers poétique. C'est peut-être aussi la confusion des temps qui me désoriente au sortir des poèmes car je sais que le présent est enfoui dans les couches du passé, déjà, Et je sais que les anniversaires sont des horoscopes, que le début contient la fin. Et je sais que les mots d'amour contiennent la promesse de l'absence. Souvenirs sans regrets et rêves sans réveil sont les grains du sable qui coule entre ces lignes. Un curieux plaisir que celui de cette chaleur que je sais perdue, d'avance. Certains poèmes viennent du recueil La douce blessure et c'est exactement là, le sable qui brûle un peu, juste assez pour faire mal mais assez doucement pour que je reste immobile, à savourer la douleur.

J'ai nourri mon amour de jeûne

la voix au cœur de miel

dans le corps du sable (…)



Le miel, le sable, les insectes volants, grillons, abeilles, phalènes, les cigognes, la fumée, la lumière qui change, les poèmes de Scotto glissent entre les instants, en équilibre instable entre les temps et les personnes. Je les écoute comme on épie deux amoureux à la table voisine d'un café ou de l'autre côté d'un arbre. La voix d'un homme, qui parle d'amour à une femme. Qui parlait d'amour à une femme. Ils n'ont pas de visage, l'un et l'autre. Ils ont des répliques : « Dimanche on se voit? », ils ont des vêtements, un loden, une jupe et une histoire qu'ils ne racontent pas. Ou plutôt, elle a des vêtements, des gestes, un corps. Lui n'est que voix. Elle est plus absente que lui, bien sûr. J'écoute ses mots à lui et je les garde, car les personnes tournent dans le petit matin du recueil et le lecteur se trouve à la place du tu. Et, à écouter mieux, la voix du poète est elle-même l'unisson de plusieurs timbres : le recueil tisse les traductions de Claude Held, Bernard Noël, Jean-Baptiste Para, Bernard Simeone et Patrick Vighetti, qui savent trouver les mots en regard des originaux italiens. Et le dialogue des langues strie le volume, comme les rais que laissent passer des persiennes.



L'amour est une chanson pour personne

C'est mon droit d'espionne, ou de lectrice : tous les mots d'amour me reviennent. D'ailleurs, au moment où ils sont dits, furent dits, s'adressent-ils même alors à la personne que l'on voit? A celle que tu crois aimer? Les fantômes d'amours fanées se glissent dans les pronoms personnels, comme les fleurs séchées — autre titre d'un autre recueil de Scotto —, restent entre les pages d'un livre de poésie. Les autres sont là, je suis là dans tous les "tu" de ces déclarations. Je suis là dans les souvenirs et les rêves du poète. Et je le quitte.

Le corps du sable, qui s'est enfui, est encore palpitant. Il est sculpté par les images, les promesses qui lui donnent forme. Orphée qui promet de « mourir deux fois » si elle lui donne un nom, peintre en quête d'un « visage inconnu », arpenteur des cités et de leurs grandes places, Scotto assemble le tableau fragmentaire de bouches, doigts, langues et ventres ; le corps du sable a la couleur de la peau de cette femme. Sable des machines à tromper le temps et corps d'imprimerie pour saisir l'insaisissable.





Yves Bonnefoy



« (…) La poésie doit résolument devenir pleine conscience de soi, ce qu’avait longtemps tenté d’empêcher la rhétorique. Et Fabio Scotto n’a pas manqué à ce devoir de l’”absolument moderne”. Il est un de ces vigilants grâce auxquels la poésie italienne perçoit clairement de nouvelles voies. (…) »



Préface de Sur cette rive, L’Amourier, 2011.

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Le corps du sable

Sylvie Fabre G.



Une tâche terrestre, la poésie de Fabio Scotto









Le paradis est épars, je le sais

C’est la tache terrestre d’en reconnaître

Les fleurs disséminées dans l’herbe pauvre.

Yves Bonnefoy









Les Editions L’Amourier viennent de publier au printemps plusieurs poètes italiens dont Fabio Scotto, traducteur émérite, entre autres, de Y. Bonnefoy et de B. Noël. L’occasion nous est ainsi donnée de lire ou relire les poèmes de cet auteur écrits directement dans notre langue ou ceux, bien plus nombreux, traduits en français et parus depuis 1997 chez divers éditeurs ou dans des revues et de mieux découvrir son oeuvre de poète.

J’ai eu la chance d’ouvrir ses livres baignée dans la lumière méditerranéenne de l’été en Corse. La terrasse où je me tenais avait vue sur la mer et sur l’île de la Maddalena, un des lieux d’origine de Fabio Scotto. Tourner les pages, lire, lever les yeux vers la rive bleue en face où résonnait le poème, étaient un mouvement comme naturel, un signe adressé. Je vérifiais une fois encore le « hasard objectif » qui préside à la rencontre et « le non-couchant de la parole » poétique. La lecture devenait ce va-et-vient de l’intérieur vers l’extérieur, de l’instant vers l’espace, mêlant rêve et réalité à la manière du premier recueil médité Piume, Plumes, Federn.



Cette anthologie trilingue parue en 1997 aux Editions allemandes Verlag/Im Wald, Ed.En Forêt, s’ouvre sur Il grido viola, Le cri violet (Edizioni del Leone 1988), qui réunit une série de poèmes en vers libres comme autant de propositions de voyage. Fabio Scotto y fait circuler les souffles entre lieux géographiques, réels ou imaginaires, et lieux intimes, entre histoire et légende dont il ramène des figures. Celles de Nausicaa, Antigone ou Sapho entrent en miroir avec la femme « assise à côté de lui, jardin du Luxembourg, qui pense ses pensées, servante aux souliers encore propres, » ou celle de « l’attente dans l’escalier », ombre sœur d’une connue à Naxos et dont le poète confesse « Et plus je te cherche / plus tu t’éloignes. » L’aventure de la vie est d’abord quête de l’amour, affirmation du désir et du manque, « joie / mouillée de larmes sur l’oreiller. »

La poésie de Fabio Scotto dit l’approche, l’attente, la fuite et la disparition, elle chante le possible de la relation et du langage dans cette circonférence de l’impossible dont parlent tous les poèmes. Elégiaque et concrète, elle montre la femme, fille de la brise, et l’homme, nouvel Ulysse, en voyageur immobile : « Immobile sur mon lit / Et pourtant je tourne. » Leur dialogue, incertain toujours, douloureux souvent, se heurte à la conscience de l’altérité et à l’indicible « Vorrei parlarti / senza parlare. »

Fabio Scotto, comme Baudelaire, Rimbaud et tant d’autres avant lui, a le désir ardent de l’union et celui, non moins ardent, du départ mais vers quel horizon ? « Oui, j’aimerais te dire allons-y / je ne sais où peut-être dans la vie / si c’est encore ouvert. »

D’un poème à l’autre, l’auteur nous entraîne dans une traversée charnelle et mentale qui va de Naxos à l’Atlantide, de Bali à Lerici, et dans l’élan nous le suivons vers ces bouts du monde que sont Nankin ou Saint-Malo, et bien au-delà, jusqu’à la lune, défi « à l’être humain / de plus en plus étranger au monde. » Entre les îles, le ciel et tous les continents, entre Paris et Samarcande, il y a les choses connues, palpables ou impalpables, la lumière ligurienne de mai, le vent qu’ « impertinent/ il gifle », « grande fratello »l’arbre, la cigale lasse et les étoiles malignes, le désert, la fleur amarante, les plages et les monts, toute la beauté silencieuse des choses. Il y a aussi l’empreinte des animaux et des hommes, bateaux au port, cailloux dans les souliers, vols d’oiseaux, pieds nus des enfants, chiens qui aboient : « Pour un rien, je partirais / en restant », écrit le poète.

Car l’invitation au voyage est sans doute un leurre, celui-ci ne ramène jamais qu’à soi-même et « il vaut mieux laisser couler tout le fleuve allongé sur son lit », être ce « prince du cosmos dans un fauteuil. » Fabio Scotto a parfois des intonations baudelairiennes pour dire ces lointains paradis, ces mers avec leurs voiles perdues « in questo nulla », et le spleen de l’homme, sa « Noia ».

« Rien que des plumes », suggère-t-il, « sole piume » nos vies, corps et pensées, poussières au vent, mais plumes d’encre noire, traces que laissent les poètes car « seules les traces font rêver »...



Les autres parties du recueil, extraits de Il bosco di Velate( Edizioni del Leone,1991) Le bois de Velate, « La Palude », Le Marais, « Le Fornaci », La Tuilerie nous proposent des paysages familiers, des scènes de la vie quotidienne en Italie où le thème de la marche, « un pas après l’autre sur la route qui avance », nous amène peu à peu à celui de la mort. « Sur nos têtes l’orage menaçait »… « La Palude » raconte une promenade à plusieurs dans le marais. Scène d’enfance avec ses peurs et ses défis, ses promesses de gifles au retour à la maison. Rien ne manque à la nostalgie, ni l’image des écorchures aux genoux, ni celle de « l’escargot moche » dans la poche « per fare paura / alle bambine ». Fabio Scotto convertit le souvenir et sait évoquer les heureuses clartés sur le chemin de l’obscur, l’inquiétante étrangeté des éléments naturels qui contamine les relations humaines et les fait basculer dans la dispute. La mémoire s’est mise en marche avec les mots pour remonter le temps et évoquer en une sorte de journal intime, - songe toujours en vers et parfois délicatement ironique -, les premières expériences, les amours, roses et épines. S’y dessine le visage encore enfant de Josée, « la Giusi » de « Le Fornaci », « apeurée et timide» à qui l’on murmure dans le présent du passé « ti amo/ (forse) / ti amo », façon peut-être de conjurer le sort. Car l’avant-dernier poème dit la mort de la grand-mère en été, la maladie crue, la douleur de la perte, l’enfance innocente qui définitivement s’éloigne (« J’avais cinq ans / tu me regardais / jouer entre les ombres des jardins ) Maintenant il n’y a que des mains qui râlent… » La forme de distanciation adoptée, le désespoir sous-jacent tranchent avec le dernier vers – « La morte morirà ma tu rimani » - où les allitérations des « m » et des « r » scandent avec force le message d’un amour qui déborde la mort : « La mort mourra mais tu restes avec nous. »

Le recueil se clôt sur l’image clé de l’oiseau se brisant les ailes sur la vitre de la claire réalité et de la langue, métaphore du destin du poète.





Dans Le corps du sable, de 2006, les Editions L’Amourier ont réuni des extraits des recueils principaux de Fabio Scotto et nous donnent ainsi une vision assez globale de son œuvre et de l’évolution de sa poésie. On y discerne un héritage qui va de Pétrarque et Dante, peut-être pour le mélange des langues, à Montale, Caproni et Penna en passant par les poètes symbolistes français ou plus contemporains comme Eluard, Desnos et maintenant Bernard Noël.

La langue de Fabio Scotto, toujours versifiée, est un mélange de simplicité, d’énergie, de réalité concrète et émotionnelle, de lyrisme souvent élégiaque. Elle possède une force sonore et charnelle qui en fait aussi une poésie de l’oralité. L’écriture du recueil montre les thèmes récurrents de l’ensemble de l’œuvre : l’expérience amoureuse, les limites du langage et de l’être, le vécu et le rêvé, le rapport à l’altérité, au paysage et plus rarement à l’histoire. Elle dévoile le monde, l’être et la vie dans leur saisi et leur in-saisi.



La première partie de cette anthologie est un extrait, traduit par Claude Held, de La dolce ferita , La douce blessure, paru chez Caramanica Editore en 1999. Le premier poème décrit une scène de vie dans une gare. Sorte d’élégie moderne qui met en scène une jeune fille croisée au cours d’un voyage en train, inconnue qu’observe et désire le poète dont le regard n’est pas sans rappeler le regard baudelairien sur « La Passante » qu’on aurait pu aimer. Mais l’amour, dit le poème suivant, « Via Lugano », est « une chanson pour personne », sorte de profession de foi que déclinent, sous diverses formes tout au long du recueil, les thèmes de la rencontre impossible et de l’incommunicabilité. Malgré « la voix au cœur de miel », le corps de l’amour ( et de la langue ) reste, comme le rappelle le titre, « corps du sable ».



Les poèmes, plus nombreux, extraits de Genetliaco, Anniversaire, sont ici traduits par Claude Held, Bernard Simeone et Jean- Baptiste Para. Fabio Scotto y élit les métaphores des ailes, du vent et de la cendre, abeilles, fumées et « Fleurs séchées » pour explorer la part du désir et du rêve et essayer d’affirmer, malgré le doute et l’absence, la présence, si menacée : « Nous sommes là / oui / nous sommes là »... La possibilité d’un bonheur est toujours questionnée : « Sei felice ? »

L’édition italienne parue en 2000 chez Passigli Editori dans la collection Poesia nous montre combien le poète pratique une forme de bilinguisme et de double culture. Professeur, grand lecteur et traducteur, il connaît très bien la poésie française classique et contemporaine et possède parfaitement notre langue. Comme dans ses autres livres, on retrouve, en exergue des parties ou même dans le corps des textes, de nombreuses citations de poètes français. Une section du recueil « Miroir du soir » fait alterner, en une osmose surprenante, les strophes écrites directement en français et celles écrites en italien dans un poème bilingue unique. Les sonorités sombres, « parole da labbra aride…La gorge me fait froid », la beauté violente, romantique des images mettent en scène les tourments vespéraux, - feu et eau, nuit et sang - , de « ce métier de l’âme » qu’est la poésie.



De L’intoccabile, L’intouchable, publié en 2004 toujours chez Passigli Editori, les éditions de L’Amourier ont retenu le long poème « Segovia », traduit par Patrick Vighetti où l’on retrouve l’acuité du poète dans la perception des choses, l’économie et la précision du langage : « Plaza Mayor / Nous buvons une Horchata / assis au Negresco / tandis que les enfants jouent / sur le kiosque à musique/ Rien »…Immédiate, la rupture introduit une autre dimension, plus méditative, et la difficulté du dire. Oui, le réel est là, dit Fabio Scotto, mais l’être est toujours au-delà. La blessure est ontologique et, malgré le rapprochement des corps, « le dire des doigts », le sang, la voix et le cœur se perdent, l’autre demeure « l’intouchable » comme la vie. Rien n’est assuré : « J’ai tout de toi / et tout me manque», constate le poète.

Dans le même recueil, Jean-Baptiste Para a choisi de traduire « Dans le piège des ronces », poème du désenchantement en onze parties, qui conte une expérience initiatique d’égarement en forêt, « Nell’insidia dei rovi ». L’on y retrouve encore des accents baudelairiens pour évoquer la femme aux yeux glauques d’aube, « aux flancs d’amazone, à la voix enfantine » dans l’amour, dont « la peau sombre » recèle et garde le mystère de la nuit et son propre secret. « Le mal te ressemble / Tu me laisses à côté », écrit Fabio Scotto, l’amour est « paix renoncée » ; nul ne peut guérir l’homme de « la condamnation de la parole » ni de la solitude.

L’édition italienne, avec une préface de Tiziano Rossi, contient aussi un long poème écrit en français, « Voix de la vue », publié d’abord aux éditions Hôtel continental en 2002. Il dit « les ailes du désir », l’inapaisable soif de vivre. L’amante y est cette fois femme-enfant qui « joue / Elle est la joie ». Fabio Scotto chante la jubilation des corps et le sexe « comme un couteau » qui signe la séparation. L’infini rêve d’aimer, seul le sauve un instant, petite éternité, le geste d’écrire.







La lecture de ces recueils presque achevée, toujours dans son écho et dans le jeu de miroir de ses deux langues, et avant de continuer l’avancée dans l’œuvre doublement lumineuse du poète, je dirai quelques mots encore sur deux inédits de Segreta bocca, Bouche secrète, traduits par Bernard Noël et que L’Amourier Editions nous propose. Il y est question de la bouche qui seule peut ouvrir le temps et raviver l’instinct du ciel en nous : « e grido tutto il cielo / in un singulto. » Pour Fabio Scotto. L’écriture semble bien la tentative d’articuler le cri dont parle aussi J.-M. Maulpoix et tant d’autres poètes lyriques, ce cri qui monte de la soif du corps et de la langue.

Pour conclure, ce qui me semble en jeu dans cette écriture est la recherche d’ « une présence », comme dirait Y. Bonnefoy, formulée au plus près des choses, des circonstances et de l’amour, au plus vif de notre appartenance terrestre et céleste. Celle-ci n’enlève pas la tension de la vie, son vertige, mais y répond par l’injonction du langage qui s’efforce de trouver son absolu. La poésie de Fabio Scotto est « une morale de la parole », a noté B. Noël, une poésie du sens, adressée, qui dit l’aventure d’être.













Hélène Cazes



Fabio Scotto, Le Corps du sable, L'Amourier, 2006.
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Sur cette rive

Heureuse de cette découverte, un régal !
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