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Citation de Ziliz


Fabrice Nicolino
■ Ce bon plastique que l’on jette aux gueux - Charlie Hebdo, 31 mai 2021 - paru dans l'édition n° 1505 du 26 mai.
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Pourquoi s'embêter à trouver des solutions pour savoir que faire de nos déchets plastiques quand il suffit de les envoyer en Afrique ? Le Sénégal, qui a pourtant instauré une loi interdisant le plastique à usage unique, récupère ainsi des tonnes de déchets, non recyclables, en provenance des pays du Nord.
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C’est de l’actu, au moins ? Pardi ! Ça se passe chaque matin. Là-bas. Dans une autre vie, j’ai regardé les pêcheurs de Soumbédioune (Sénégal) débarquer sur la plage les poissons jetés au fond de leurs pirogues. Les gosses piaillaient, les mamas préparaient leurs couteaux et l’air était rempli de ce qu’en Espagne on appelle algarabía, un foutoir sonore.
Y avait-il autant de plastique sur le sable, dans le sable, dans l’eau ? Je n’en ai gardé aucun souvenir. Mais tout a changé, car le progrès a aussi atteint la vie quotidienne des pêcheurs du Sénégal. Non seulement les sacs plastique à usage unique ont commencé à remplacer ce si vilain papier, mais les marchés se sont emplis de milliers et de millions d’objets plastique multicolores fabriqués à très bas coût en Chine, puissance désormais dominante en Afrique.
En 2015, une première loi a interdit les sachets peu épais, et donc fragiles, ceux qu’on appelle de 'faible micronnage'. Mais n’ayant pas été appliquée – qui l’aurait imposée ? –, elle a été remplacée en 2020 par un texte plus clair, interdisant tous les plastiques à usage unique ou jetables. Par exemple, les pailles des diabolos menthe, les couverts et assiettes, les gobelets, et les sacs bien sûr. Sur le papier, il s’agit, selon le ministre de l’Environnement du Sénégal, d’« éradiquer de manière irréversible le péril plastique », avant d’ajouter devant les députés, martial comme un Gérald Darmanin : « Je vous assure que la loi sera appliquée dans toute sa rigueur. »
Un an après, c’est le bilan, un premier bilan. Et il est désastreux. Rappelons le principe universel de la boîte de la belle Pandore. Quand cette dernière eut ouvert le couvercle de la jarre, et que s’en échappèrent tant de fléaux, il apparut qu’il était un poil plus facile de les faire sortir que de leur apprendre à revenir. Donc, un désastre. Sur les 200 000 tonnes de plastique produites chaque année au Sénégal, 9 000 seraient 'retraitées' pour on ne sait quel usage futur. 191 000 tonnes finissent dans l’eau douce, ou salée.
À Dakar, un écologiste des rues, aussi éloigné de messieurs Jadot et Piolle que le pape de Rome d’une drag-queen, amuse et mobilise. Depuis quinze ans, Modou Fall, revêtu d’une bonne centaine de sachets plastique de toutes les couleurs, réclame un Sénégal 'propre' et propose des formations gratuites pour instruire des équipes d’activistes. On l’appelle 'l’homme plastique'.
Il faut bien ajouter à cette équation simple – on produit sur place, on jette sur place – une donnée essentielle : le plastique que nos vertueuses sociétés du Nord envoient aux éternels gueux de la terre.
On sait par exemple qu’en 2019 le Sénégal a importé 7 809 tonnes de déchets venus des États-Unis. Illégalement, ce qui donne à penser sur les importations légales. Une enquête minutieuse révèle un circuit qui conduit le plastique américain vers onze pays parmi les plus pauvres du monde, dont, en Afrique, l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya et le Sénégal.
Derrière le sinistre exemple sénégalais, on trouve sans surprise une machine industrielle transnationale qui produit des montagnes d’objets plastique sans avoir les moyens de s’en débarrasser. Jusqu’en 2018, la Chine était la décharge complaisante du monde, mais elle a refermé ses frontières cette année-là, « obligeant » l’Occident à se tourner vers l’Afrique.
Il n’est évidemment pas question d’envoyer là-bas des plastiques de bonne qualité, qu’il est facile de (re)fondre aux États-Unis ou en Europe avant nouvelle utilisation. Non, le Nord n’expédie que des plastiques mélangés, de bas étage, mêlés à d’autres déchets. Si même existait une industrie africaine du recyclage, elle ne pourrait pas faire de miracles avec de tels arrivages. L’essentiel part donc en décharge, sauvage si l’on veut gagner encore plus.
De quel volume parle-t-on ? Impossible de le savoir avec précision, mais les États-Unis prévoient d’envoyer au Kenya, qui deviendrait une plate-forme continentale, 500 millions de tonnes de plastique par an. En 2018, la France a exporté hors de l’Europe 1,8 million de tonnes de déchets, dont du plastique. La France. Celle de 1789, sûrement.

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>> https://charliehebdo.fr/2021/05/ecologie/ce-bon-plastique-que-lon-jette-aux-gueux
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