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Critiques de Fergus Linehan (1)
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Sous l'amertume du dourion

Voici une chronique fleuve (j’ai l’écrit pipelette, en ce moment), pour un coup de coeur inattendu. Ce roman dormait dans ma pile à lire depuis des lustres. Quel plaisir de l’en avoir libéré !* Sous l’amertume du Dourion est le premier roman de Fergus Linehan, un irlandais né en Malaisie en 1934, critique cinématographique et rédacteur en chef de la chronique artistique du Irish Times. Cette fiction historique est tout autant un roman d‘aventures exotiques qu’un livre d’histoire, le témoignage humaniste d’époques révolues, un récit lucide et intelligent, une somme de réflexions sociales, politiques et religieuses. Sa lecture m’a passionnée et souvent touchée.



Tim O’Hagan, devenu un vieil homme, s’éteint, solitaire, en Irlande. Le temps des souvenirs, certaines présences du passé le hantent. Il raconte. Dès la première page tournée, j’ai été emportée. Années 1910. Tim est issu d’une des plus anciennes familles de nationalistes irlandais. Après l’obtention de sa licence de lettres classiques à l’université, on lui propose un poste de lecteur, mais pour se faire titulariser il devra verser quelques dessous de table. Or, graisser la patte de minables politiciens est inconcevable pour son père, cet austère paterfamilias qu’il craint et admire à proportions égales… Tim se retrouve tout à trac sans réelles perspectives d’avenir. Tommy, son ami d’enfance, protestant (Tim, lui, est catholique), parti en Malaisie servir la Couronne Anglaise, lui vante le pays, un endroit merveilleux, une aventure dit-il, avec une paye pas mal non plus, et une permission tous les trois ans. Tim décide de passer le concours pour devenir fonctionnaire pour l’Empire colonial Britannique.



Etrange, non ? Mais en fait, pas tant que ça. Il était « un nationaliste irlandais qui croyait en l’Empire Britannique ». Comme le reste de sa famille et son frère Mick, « tué pendant la Première Guerre. Il fut l’un des milliers qui quittèrent l’Irlande à l’appel de John Redmond, le leader du parti irlandais à Westminster […]. Il était sur les champs de bataille en Flandre avec de nombreux autres soldats de son régiment, les Munster Fusiliers. A notre connaissance, on ne retrouva jamais son corps. ». Ces irlandais « oubliés dans [les] livres d’histoire, intentionnellement, délibérément. Ils avaient fait le mauvais choix, et leurs noms à tous ont maintenant disparu » ; car pendant ce temps-là, d’autres prenaient les armes à Dublin, à Pâques, en 1916…



Au long du récit revient toujours le dourion sous différents aspects, ce fruit succulent à l’odeur immonde. La Malaisie a été pour Tim tout autant un bonheur, qu’elle lui a pris des bouts de coeur et de vie. Il raconte le poids de la religion et le tabou de la sexualité dans l’Irlande catholique. « Si nous avions pu prévoir ce que serait la nouvelle Irlande, réactionnaire, bigote, animée de vains sentiments anti-britanniques, en retard sur le plan économique et politique, combien d’entre nous auraient décidé de l’accepter ? » J’aurais envie de tout raconter, ses différentes affectations, Kuala Lumpur, la chaleur, le nord du pays, « la petite ville poussiéreuse au fin fond de la péninsule. Quelques policiers sikhs, un towkay (commerçant) chinois qui vend de tout, des casseroles aux sarongs, un marché à ciel ouvert et l’istana ou palais du raja local », la jungle, les plantations d’hévéas abrutissantes (hévéas – l’arbre à caoutchouc – que l’Empire a sorti frauduleusement du Brésil pour l’acclimater en Malaisie et s’en mettre plein les poches !), la côte Est moins raciste et ses clubs « mixtes » où Malais et occidentaux se côtoient, et puis Singapour, « la cité du Lion, à la croisée des routes du monde, le pivot de l’Empire », les villas, le bridge. Sa femme Eileen, son couple qui bat vite de l’aile car Eileen ne s’acclimate pas, les amis chers, Tommy et Deirdre, les enfants, les pertes, les retours en Irlande de moins en moins fréquents. Jusqu’aux bombardements par les zéros japonais…



Je me suis plongée dans ce livre dense avec une constante allégresse. L’écriture est formidable, qui se laisse oublier avec style et légèreté, ne laissant au coeur des pages que les gens, la lumière, les paysages et les vies. Fergus Linehan conte aussi bien les touffeurs Malaises que les frimas Irlandais. Un livre qui fait réfléchir. L’auteur décortique les mécanismes d’une société, d’une vie, d’un désir, d’un coeur. Il parle de la place inconfortable physiquement et philosophiquement, de se retrouver colonialiste dans un pays qui vit sous le même joug que le sien. « Les chinois sont à la Malaisie ce que les protestants d’Irlande du Nord aiment à se considérer vis-à-vis de l’Irlande, plus perspicaces et plus travailleurs que la race majoritaire ». Un soir au club, il ne veut pas trinquer au Roi. « L’Irlande a le droit de se gouverner elle-même ! C’est un pays à part entière. » En face, on lui balance : « Oh, Dieu du Ciel, les bouseux ont le droit de se gouverner eux-mêmes ! L’Irlande fait partie de l’Empire et se devrait d’en être sacrément fière. » Il se fait mettre au ban de la petite intelligentsia locale, imbue d’elle-même. « La condescendance. Si l’Empire Britannique avait un tombeau, il faudrait que ce seul mot y soit gravé. »



C’est l’époque de La route des Indes d’Edward Morgan Forster et de La Ferme africaine de Karen Blixen, mais avec au centre un fonctionnaire colonial irlandais nationaliste et en miroirs le sud-est asiatique et l’Irlande… Hum hum. Cette chronique n’en finit vraiment pas, et pourtant j’aurais encore tellement à dire ! Un coup de coeur, indéniablement. Parce qu’au bout du compte, même si cette fiction historique raconte une vie extraordinaire, ce n’est qu’un type comme un autre, avec ses aspirations et ses instants de grâce, ses décisions parfois discutables, ses joies et ses regrets.



« La jungle. En écrivant, j’essaye de retrouver ce qu’elle avait de si… obsessionnel. Oui, c’est ça. Partout du vert. Des arbres, des lianes, la brousse. Des feuilles lisses, épineuses, minuscules, larges comme la surface d’un bureau. Peu de choses à voir pourtant : un singe, tout là-haut, des insectes, un papillon aux couleurs vives. Des tigres ? Je n’en ai pas rencontré un seul en quarante ans passés là-bas. »







*Pour la petite histoire (pipelette, oui oui), c’est en découvrant la story d’une instagrammeuse voyageuse que j’aime suivre, @liolaliola, en train de goûter pour la première fois un dourion (durian) (bon, ça va, elle a aimé !), que je me suis souvenue que ce livre-ci dormait sur mes étagères depuis perpette. Mon frère étant sur le départ pour un voyage dans les montagnes de Thaïlande, j’ai eu envie de partir moi aussi, en livre, du coup, dans le même coin du monde. D’autant plus que cela faisait bien deux mois que je n’avais pas alimenté l’Objectif PAL (Pile à Lire) d’Antigone ! Une simple lecture cache parfois toute une histoire, n’est-ce pas ?
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
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