La situation des prisonniers les pieds dans l'eau pendant plusieurs nuits alors que la température avoisinait le zéro degré relevait de la torture. A l'infirmerie, il était assez fréquent de soigner des prisonniers aux arcades sourcilières éclatées. Souvent après les soins, ils devaient retourner au deuxième bureau d'où ils revenaient le lendemain avec des blessures encore plus profondes. En général ces allers-retours se terminaient par la "corvée de bois" dont l'issue était fatale. Pour ma part, je n'ai jamais participé à de tels massacres mais des camarades ne s'en cachaient pas, je pourrais même dire qu'ils en manifestaient une certaine fierté.
Pour situer le degré de déshumanisation auquel peut conduire la guerre je citerai le cas de deux bons copains, routiers dans le civil. Je suis même sûr qu'ils devaient faire partie des routiers sympas de l'époque. Un jour, ils sont revenus au dortoir tout contents d'eux-mêmes. Au cours d'une opération, alors qu'ils étaient restés dans la vallée, ils avaient réussi à déterrer un cadavre de femme et à se faire photographier avec lui, après lui avoir introduit une cigarette entre les lèvres. Quand ils m'ont montré la photo, je me suis demandé s'ils n'étaient pas devenus fous. De tels actes ne condamnent pas forcément les personnes qui les commettent. Les copains en question étaient en Algérie depuis plus de deux ans avec tout ce que cela suppose. C'est bien plutôt la guerre qui est condamnable avec son enchaînement de haine et de violence.